Analyse Juridique | Public des Affaires
Conditions techniques et financières d’accès aux réseaux d’initiative publique : de nouvelles précisions
23 décembre 2015

Hasard du calendrier juridictionnel, trois jours après l’adoption par l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) de lignes directrices relatives à la tarification de l’accès des opérateurs de communications électroniques aux réseaux d’initiative publique (« RIP ») (1) , la cour d’appel de Paris a rendu le 10 décembre 2015 un arrêt qui confirme la décision de règlement de différend adoptée par le régulateur sectoriel et contestée devant elle. Cet arrêt contribue au renforcement du cadre juridique de l’accueil des opérateurs de communications électroniques sur ces mêmes RIP.

Les RIP sont des réseaux à très haut débit en fibre optique déployés en zones peu denses, à l’initiative des collectivités territoriales et exploités soit directement en régie soit par un opérateur privé dans le cadre d’un contrat public (marché ou délégation de service public). Afin d’éviter des situations de monopole où seul l’opérateur ayant déployé le réseau jusqu’à l’abonné pourrait proposer ses services aux résidents, compte tenu notamment des coûts très élevés de déploiement dans des zones à l’habitat dispersé, il est essentiel que la partie la plus capillaire du réseau soit accessible à tous les opérateurs.

A cette fin, l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques a instauré un principe de « mutualisation », reposant sur le partage de la partie terminale du réseau déployé par le premier opérateur (dit « opérateur d’immeuble ») jusqu’à la prise terminale optique, à partir d’un point logique situé en amont dans le réseau, auquel les opérateurs tiers (dits « opérateurs commerciaux ») viennent raccorder leur réseau et installer leurs équipements permettant d’activer la fibre optique : le point de mutualisation. Cette obligation de mutualisation dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires concerne tant les réseaux déployés par des opérateurs privés que les RIP, tant les zones très denses que les zones moins denses. Afin de susciter des manifestations d’intérêt, les opérateurs d’immeuble ont l’obligation, avant le déploiement de la partie terminale du réseau, de publier une offre d’accès, détaillant les conditions techniques et tarifaires de leur offre de mutualisation.

Les lignes directrices de l’ARCEP ont pour but d’apporter aux opérateurs commerciaux, désireux d’utiliser les RIP pour offrir leurs prestations aux utilisateurs finals (dans le cadre d’un cofinancement leur offrant un droit réel sur la partie terminale du réseau – offre d’accès passif (2) – ou dans le cadre d’un achat de capacités – offre d’accès activé), des garanties quant au caractère raisonnable et équitable sur le long terme des tarifs qui leur sont appliqués par les gestionnaires des RIP. Elles visent, également, à aboutir, à terme, à une convergence tarifaire entre les tarifs d’accès aux RIP et ceux pratiqués par des opérateurs dans les zones dites d’initiative privée (3).

Pour sa part, l’arrêt de la cour d’appel de Paris confirmant pleinement la décision rendue par l’ARCEP pour régler le différend opposant la société Orange au Syndicat de communes du Pays de Bitche, apporte des précisions quant aux modalités techniques de mutualisation du RIP.

Un différend était né entre le Syndicat ayant déployé et exploitant son réseau de fibre optique auprès des utilisateurs finals et Orange qui souhaitait y accéder. Le différend portait sur la localisation des points de mutualisation, soit très en amont dans le réseau, soit plus proche des abonnés. Cette localisation était indispensable pour que puissent être définies précisément les conditions techniques et financières de raccordement publiées dans l’offre d’accès du Syndicat.

L’arrêt est intéressant à double titre : d’une part, il reconnaît la nécessité de choisir un point de mutualisation permettant non seulement l’accueil d’Orange en l’espèce, demandeur au règlement de différend, mais également de tous autres opérateurs qui désireraient accéder au RIP et ce, dans des conditions identiques à celles que l’opérateur ayant déployé le RIP s’est appliqué pour offrir ses propres offres commerciales (application du principe de non-discrimination).

D’autre part, il propose une analyse fine et pédagogique de la clause de l’offre d’accès du Syndicat conditionnant l’engagement de cofinancement de l’opérateur au versement préalable d’une somme d’argent. Pour le Syndicat, il s’agissait d’une simple clause de dédit destinée à réparer son préjudice si l’opérateur manque à son engagement. Or, en l’espèce, à défaut d’accord sur la localisation du point de mutualisation, les conditions techniques et financières de l’offre d’accès du Syndicat ne pouvaient être regardées comme définitives. En outre, le versement devait avoir lieu avant la signature du contrat d’accès définitif alors que l’opérateur ne connaît pas encore, de manière certaine, l’étendue de ses droits et obligations. La cour d’appel souligne qu’il ne peut s’agir d’une clause de dédit, à défaut d’engagement ferme des parties sur les conditions essentielles du contrat. Cette obligation devait, dès lors, être annulée. On ajoutera, en effet, qu’elle pourrait être regardée comme une condition potestative au sens de l’article 1170 du code civil, dans la mesure où l’échec des négociations pour la conclusion du contrat définitif pourrait dépendre de la seule volonté de l’opérateur de réseau.

Alors que plus de 400 réseaux d’initiatives publiques ont été déployées dans toute la France, les lignes directrices de l’ARCEP et l’arrêt de la cour d’appel de Paris contribuent à la sécurisation du cadre juridique de l’accès des opérateurs tiers à ces réseaux en vue d’une diversification de l’offre commerciale.

(1) Conformément au VI nouveau de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales issu de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Il faut saluer le travail de l’ARCEP qui, dans un calendrier resserré, imposé par l’article 126-II de la loi Macron (quatre mois à compter de la promulgation de la loi), a mené une consultation publique sur un projet de lignes directrices, analysé les 33 contributions, fait évoluer son projet dont le texte « définitif » a été publié le 7 décembre 2015. L’usage des guillemets a pour seul objet de souligner la nature évolutive de ce texte, en fonction des modifications des conditions du marché.

(2) De type IRU “Indefeasible Right of Use

(3) Il s’agit des zones, hors zones très denses, dans lesquelles des opérateurs privés ont manifesté leur intention d’investir, sans subvention publique, pour déployer un réseau de fibre optique mutualisable.

Rédigé par

Virginie Delannoy Counsel

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