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Garantie des vices cachés : qu’est-ce qui peut bientôt changer pour les vendeurs ?
7 juillet 2023

Le 21 juillet prochain, la Chambre Mixte de la Cour de cassation aura à se prononcer sur 3 questions importantes relatives à la garantie des vices cachés, sur lesquelles trois de ses chambres (la première chambre civile, la troisième chambre civile et la chambre commerciale) ont, jusqu’à présent, adopté des solutions divergentes. Les réponses de la Chambre Mixte sont susceptibles d’avoir un impact considérable sur les vendeurs, notamment étrangers.

Il est question de l’article 1648 du code civil, aux termes duquel « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. »

Voici le résumé des questions posées et des réponses proposées par l’avocat général, à mettre en perspective avec les solutions retenues par l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, dont l’adoption est annoncée, s’agissant du contrat de vente, pour la fin de l’année/début 2024 :

1. Est-ce que le délai de deux ans de l’article 1648 du code civil est un délai de prescription ou s’agit-il d’un délai de forclusion ?

Même s’il semble s’agir d’une question éminemment théorique, la réponse qui y sera apportée aura des impacts concrets et tangibles pour tout fabricant ou vendeur si une expertise judiciaire est ordonnée à la demande de l’acquéreur.

Pour rappel, lorsqu’un produit est suspecté de présenter un défaut, il est très fréquemment demandé à ce que soit désigné un expert judiciaire, dans le cadre d’une procédure appelée « référé-expertise », afin que ledit expert examine le produit en question, identifie l’éventuel défaut et détermine qui est susceptible d’en être le responsable. Or, lorsque l’acquéreur assigne le vendeur en référé-expertise, le délai de 2 ans de l’action en garantie des vices cachés est interrompu par l’assignation et est suspendu jusqu’à la date à laquelle le juge ordonne l’expertise. Cela veut dire qu’un nouveau délai de 2 ans court à compter de la décision ordonnant l’expertise.

A compter de cette date, deux cas de figure sont possibles :

  • si le délai de 2 ans est qualifié de délai de prescription, il est immédiatement suspendu à compter de la décision ordonnant l’expertise, et ce jusqu’au jour du dépôt du rapport d’expertise. Concrètement, cela signifie que l’acquéreur dispose d’un délai de 2 ans à compter du dépôt du rapport d’expertise pour agir à l’encontre du vendeur en garantie des vices cachés ;
  • si le délai de 2 ans est qualifié de délai de forclusion, il n’est pas suspendu pendant les opérations d’expertise judiciaire, ce qui veut dire que l’acquéreur dispose d’un délai de 2 ans à compter de la décision ordonnant l’expertise pour agir à l’encontre du vendeur en garantie des vices cachés, et ce même si dans ledit délai de 2 ans l’expert n’a pas encore déposé son rapport.

A date, la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation considèrent que le délai de l’article 1648 est un délai de prescription, alors que la troisième chambre civile en fait un délai de forclusion.

 

  • Lors de l’audience du 16 juin dernier qui a réuni les différentes Chambres concernées par ce débat, l’avocat général a proposé de le qualifier de délai de prescription, de manière à ce qu’il soit suspendu pendant l’exécution des opérations d’expertise judiciaire. 
  • Il est à noter que cette solution serait conforme à celle retenue par l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, actuellement en discussion devant le Parlement, aux termes duquel il est proposé dans la version actuelle d’indiquer expressément à l’article 1648 du code civil que « l’action résultant des vices se prescrit par deux ans ».

2. Dans la mesure où le point de départ du délai de 2 ans est subjectif en ce qu’il court à compter de la découverte du vice, laquelle peut intervenir plusieurs années après la vente ou la délivrance du bien, la jurisprudence considère que ce délai est encadré par un second délai dit « butoir » qui, lui, s’écoule à compter de la vente du bien, et ce afin d’éviter que l’action en garantie des vices cachés soit, de facto, imprescriptible.

Concrètement, cela signifie que l’acheteur a la possibilité, pendant ce délai butoir, d’engager une action judiciaire au titre d’un vice qu’il constaterait, et ce dans les deux ans de la découverte de ce vice : ce sont donc bien deux délais qui s’articulent.

En matière de ventes civiles, c’est-à-dire des ventes conclues entre un vendeur non commerçant et un acheteur non commerçant, la jurisprudence considère de manière unanime que ce délai « butoir » est de 20 ans à compter de la vente du bien, par application de l’article 2232 du code civil.

La question posée à la Chambre Mixte est de savoir s’il convient d’appliquer ce même délai de 20 ans également aux ventes commerciales, c’est-à-dire aux ventes conclues entre un vendeur commerçant et un acheteur commerçant ou non commerçant, ou si pour ces dernières le délai « butoir » doit être de 5 ans, par application de l’article L110-4 du code de commerce (à savoir le délai de prescription classique entre commerçants).

  • L’avocat général a proposé de retenir un délai « butoir » de 5 ans pour les ventes commerciales, solution qui semble à privilégier notamment si l’on compare le droit français à ce qui est prévu non seulement par la Convention de Vienne, mais également en Italie ou en Allemagne, où l’action en garantie des vices cachés se prescrit respectivement par un et deux ans à compter de la délivrance du bien.
  • Il est à noter que l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux se penche aussi sur cette question et, dans sa version actuelle, propose de préciser désormais la durée du délai « butoir » à l’article 1648 du code civil : si une faible majorité propose de se référer expressément au délai de 20 ans de l’article 2232 du code civil, une minorité propose de fixer un délai butoir de 10 ans après la délivrance du bien. Ce délai de 10 ans serait calqué sur le délai « butoir » de 10 ans applicable en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, courant à compter de la mise en circulation du produit.

    Les deux alternatives laissent toutefois ouverte la question de savoir si cette réforme doit ou non s’appliquer aux ventes commerciales.

     

3. Enfin, la dernière question posée à Chambre Mixte est de savoir quel est le point de départ du délai de l’action en garantie des vices cachés en cas d’action récursoire engagée, dans le cadre d’une chaîne de contrats, à l’encontre du fabricant par le vendeur intermédiaire, assigné par l’acquéreur final du bien.

Toutes les chambres de la Cour de cassation considèrent que le point de départ du délai de 2 ans de l’article 1648 du code civil est le jour où le vendeur a été assigné par le dernier acquéreur. Toutefois, s’agissant du délai butoir, la troisième chambre civile de la Cour de cassation considère que ce délai est suspendu jusqu’à l’assignation du vendeur par le dernier acquéreur, alors que la première chambre civile et la chambre commerciale jugent que son point de départ est la date de la conclusion du contrat de vente.

  • L’avocat général a proposé de retenir, comme point de départ du délai butoir en cas d’action récursoire engagée par le vendeur intermédiaire contre le fabricant, la date de la vente conclue entre les parties concernées, à savoir donc la date de la vente conclue entre le vendeur intermédiaire et le fabricant.

Il ne reste qu’à attendre le 21 juillet prochain pour savoir ce qui va être décidé par la Cour de cassation, sachant que celle-ci n’est pas obligée de suivre les propositions de l’avocat général.

Ce qui est certain est que, si jamais la Cour de cassation devait décider de fixer le délai butoir pour toutes ventes commerciales à 20 ans à compter de la vente, tout fabricant ou vendeur étranger aurait un réel intérêt à faire passer au crible l’ensemble de ses documents contractuels (contrats, confirmations de commande, factures, bons de livraison, conditions générales de vente) afin de s’assurer que ses clauses compromissoires ou désignant des juridictions autres que françaises comme étant compétentes pour tout litige ainsi que ses clauses soumettant tout contrat de vente à un droit étranger sont bien applicables en cas de litige avec tout acquéreur français.

Rédigé par

Francesca Ciappi AVOCAT

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