Analyse Juridique | Social
Télétravail et tickets restaurants : la divergence de position entre Paris et Nanterre
13 avril 2021

Les salariés en télétravail sont-ils fondés à l’octroi de tickets restaurants ? Une question qui s’est posée pour un très grand nombre d’employeurs depuis un an. Au printemps 2021, les positions des juges du fond divergent en Ile de France. Alors que le Tribunal judicaire de Nanterre avait répondu par la négative le 10 mars dernier, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision contraire le 30 mars 2021. Analyse comparée des deux décisions.

Le Code du travail et les Accords Nationals Interprofessionnels relatifs au télétravail (tant celui du 19 juillet 2005 que celui du 26 novembre 2020) sont muets sur la question de l’obligation ou de l’absence d’obligation de maintenir l’octroi de titres restaurants à des salariés placés en télétravail. Jusqu’en mars 2021, la jurisprudence était également taisante. Seule l’URSSAF avait pris position en 2016. Selon l’organisme administratif, le télétravailleur devait bénéficier des mêmes avantages sociaux que ses collègues travaillant sur site, et partant, de l’octroi de titres-restaurants même pour les journées télétravaillées. Bien que cette position de l’URSSAF soit sans valeur juridique, beaucoup d’employeurs avaient choisi, par prudence, de se conformer à cette interprétation.

Par jugement en date du 10 mars 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre a considéré que l’objectif de l’employeur qui finance des titres repas est de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile. En l’occurrence, des salariés placés en télétravail à domicile ne peuvent prétendre, en l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, à l’attribution de tickets restaurant. Dès lors que les salariés en télétravail sont dans une situation distincte de ceux travaillant sur site, aucun manquement à l’égalité de traitement ne peut être invoqué. Le 10 mars dernier, la réponse semblait donc fixée : pas de ticket restaurant pour les télétravailleurs.

C’était sans compter sur le Tribunal judiciaire de Paris, qui, à peine 3 semaines plus tard, a rendu une décision contraire. Le 30 mars 2021, les juges parisiens ont considéré que les conditions d’utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site. La distinction de situation entre salariés sur site et salariés en télétravail est donc jugée inopérante. Partant, l’employeur doit verser des tickets restaurants aux salariés en télétravail.

Rappelons que le titre restaurant est un avantage en nature institué pour permettre aux salariés ne disposant pas d’un local de restauration (cantine, réfectoire, restaurant d’entreprise) sur leur lieu de travail de pouvoir déjeuner à l’extérieur à des conditions financières avantageuses : l’employeur prend en charge, conjointement avec les salariés, le prix de ces repas. Revenons maintenant plus en détails sur les deux espèces.

1. Selon le Tribunal judiciaire de Nanterre, les salariés en télétravail ne sont pas fondés à l’octroi de tickets restaurant

Une société des Hauts de Seine a décidé, le 17 mars 2020 lors de la mise en place généralisée du télétravail concomitante au premier confinement, de ne plus octroyer de tickets restaurants.

Par assignation à jour fixe délivrée en décembre 2020, une fédération de syndicats saisit le Tribunal judiciaire de Nanterre. Le requérant fait injonction à la société de délivrer des tickets restaurants pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans l’horaire de travail journalier, et ce, depuis le 17 mars 2020, sous astreinte de 1.000 euros par infraction et par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir. L’affaire est débattue en audience publique le 5 janvier 2021. Le 10 mars 2021, le Tribunal judiciaire rend un jugement au terme duquel il déboute le syndicat de ses demandes.

Le Tribunal de Nanterre vise les dispositions suivantes :

  • L’article L.3262-1 du code du travail, qui définit le ticket restaurant comme « un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 3262-3. Ce repas peut être composé de fruits et légumes, qu’ils soient ou non directement consommables » ;
  • L’article 4 de l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail du 19 juillet 2005, qui dispose que « Les télé-travailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. » ;
  • L’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 sur le télétravail, qui rappelle le principe d’égalité de traitement : « Les dispositions légales et conventionnelles applicables aux relations de travail s’appliquent aux salariés en télétravail. Ces derniers ont les mêmes droits légaux et conventionnels que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise » (article 3), mais ne comporte, à l’instar de l’accord de 2005 précité, aucune disposition sur les tickets restaurant.
  • L’accord sur le télétravail propre à l’entreprise défenderesse qui est muet sur les tickets restaurants.

Avant la pandémie, la société défenderesse avait décidé d’attribuer des tickets restaurant aux salariés affectés sur un site non doté d’un restaurant d’entreprise. Comme nombre d’entreprises, la société a placé, à compter du 17 mars 2020, la plupart de ses salariés en télétravail en raison de l’état d’urgence sanitaire instauré en raison de la pandémie de coronavirus Covid-19.

Depuis cette date, la société n’attribue plus de tickets restaurants aux salariés de l’entreprise affectés sur un site non doté d’un restaurant d’entreprise et placés en télétravail.

Le Tribunal procède ensuite à l’analyse juridique suivante.

Le titre restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. La loi ne définit pas ses conditions d’attribution. Elle énonce simplement que le repas du salarié pris en charge doit être compris dans son horaire de travail journalier.

Il ne serait pas contestable que les télétravailleurs devraient bénéficier des tickets restaurant si leurs conditions de travail étaient équivalentes à ceux travaillant sur site sans restaurant d’entreprise. Pour autant, l’objectif poursuivi par l’employeur, en finançant ces titres de paiement en tout ou en partie, est de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile.

En l’occurrence, les salariés placés en télétravail le sont à leur domicile et ne peuvent donc prétendre, en l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, à l’attribution de tickets restaurant.

De ce fait, la situation des télé-travailleurs et celle des salariés travaillant sur site sans accès à un restaurant d’entreprise n’est pas comparable.

Il en résulte que le syndicat ne peut valablement soutenir que, faute de remise de tickets restaurant, les télétravailleurs ne bénéficieraient pas des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que les salariés travaillant sur site.

Le Tribunal judiciaire de Nanterre en conclut que l’employeur n’est pas tenu de verser des titres restaurants aux salariés en télétravail.

2. Selon le Tribunal judicaire de Paris, l’employeur doit remettre des tickets restaurants aux salariés en télétravail

Le 17 mars 2020, une société implantée à Paris a placé la majorité de ses salariés en télétravail en raison de la crise sanitaire. Par courriel du 20 avril 2020, la société a informé les salariés de sa décision de réserver l’attribution des titres restaurant aux seuls employés travaillant sur site.

Le 23 avril 2020, lors d’une réunion ordinaire, le CSE de la Société a fait part de son désaccord quant à cette position qui méconnaitrait l’égalité de traitement entre les salariés. Lors de la réunion ordinaire du CSE tenue le 17 septembre 2020, la société défenderesse a maintenu sa position tendant à refuser l’octroi des titres-restaurants aux télé-travailleurs.

Le CSE et un syndicat ont assigné à jour fixe la société aux fins de la voir notamment condamnée sous astreinte à régulariser les droits des salariés en télétravail en leur attribuant un titre-restaurant pour chaque jour travaillé depuis le 17 mars 2020.

Le Tribunal judiciaire de Paris vise les dispositions suivantes :

  • L’article L.1222-9 du code du travail : « I. (…) le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. (…). Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. (…)III.- Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise. ». Le Tribunal ajoute que l’article L.1222-9 régit le recours volontaire des salariés au télétravail au sein de l’entreprise et pose comme principe que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits que ceux qui exécutent leurs fonctions dans les locaux de l’entreprise.
  • L’article L.1222-11 du code du travail, « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

Dans le cadre de l’urgence sanitaire et des mesures de confinement liées à l’épidémie de Covid-19, les entreprises, et en l’espèce la société défenderesse, ont imposé le télétravail aux salariés dont l’activité le permettait sur le fondement de l’article L.1222-11 après consultation du CSE, afin d’éviter la propagation du virus, protéger la santé des salariés, et assurer la continuité de l’activité de l’entreprise.

Le Tribunal indique que le principe d’égalité de traitement posé par l’article L.1222-9 du code du travail entre les télétravailleurs et les salariés exécutant leur mission dans les locaux de l’entreprise, sous condition qu’ils se trouvent dans une situation comparable, est d’une particulière acuité dans le cadre du recours imposé au télétravail rendu nécessaire par l’épidémie de Covid-19. Le Tribunal poursuit en indiquant que le principe d’égalité ne s’oppose cependant pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la règle qui l’établit.

Selon les juges de première instance, il convient, en l’espèce, de déterminer si la société défenderesse, qui a fait le choix de distribuer des titres restaurant aux salariés de son entreprise, peut opérer une différence de traitement entre les salariés qui exécutent leur travail dans les locaux de l’entreprise et ceux qui sont en télétravail, en octroyant cet avantage en nature aux premiers et en le refusant aux seconds.

A ce titre, il incombe à l’employeur de justifier de ce que les télétravailleurs se trouvent dans une situation distincte en raison notamment des conditions d’exercice de leurs fonctions et que le refus d’attribution des titres restaurant est fondé sur des raisons objectives, matériellement vérifiables et en rapport avec l’objet des titres restaurant.

En premier lieu, afin d’établir que les télétravailleurs se trouvent dans une situation différente des salariés sur site, la société indique que le titre-restaurant a pour objectif de permettre au salarié de se restaurer lorsque celui-ci ne dispose pas d’un espace pour préparer son repas, ce qui s’accorde peu avec le salarié en télétravail qui dispose de sa cuisine personnelle et qui n’a donc pas à se limiter à des plats immédiatement consommables. La société ajoute que si le télétravailleur fait le choix de ne pas travailler depuis son domicile mais depuis un autre lieu, par exemple un espace de co-working, cela ne résulte que de ses convenances personnelles et ne saurait lui créer le moindre droit vis-à-vis de son employeur.

Selon le Tribunal judicaire de Paris, cette distinction invoquée par l’employeur apparaît doublement inopérante, pour une raison tenant à la définition littérale du télétravail d’autre part, et pour une raison tenant à l’objet du titre-restaurant d’autre part.

D’une part, aux termes mêmes de l’article L.1222-9 du code du travail, le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail effectué par un salarié hors des locaux de l’employeur qui utilise les technologies de l’information et de la communication, ce qui n’implique pas pour le salarié de se trouver à son domicile ni de disposer d’un espace personnel pour préparer son repas.

D’autre part, l’objet du titre-restaurant est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais non sous condition qu’il ne dispose pas d’un espace personnel pour préparer celui-ci. Cet objet découle des dispositions de l’article L.3262-1 du code du travail qui définit le ticket restaurant et de l’article R.3262-7 qui dispose que : « Un même salarié ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier ».

Selon le Tribunal, les dispositions des articles précitées s’appliquent aux entreprises qui ont fait le choix de distribuer des titres restaurant aux salariés, ce qui est bien le cas en l’espèce pour la société et, dans cette hypothèse, le texte réglementaire prévoit qu’un même salarié « ne peut » recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier, ce qui n’autorise pas l’employeur, faute pour le gouvernement d’avoir utilisé le verbe « devoir », de déterminer librement parmi les salariés lesquels peuvent bénéficier de cet avantage en nature.

Ensuite, la société allègue que la réglementation et les conditions d’utilisation des titres-restaurants ne sont pas compatibles avec la situation du télétravailleur. Elle souligne sur ce point que l’usage du titre-restaurant est restreint à certains établissements, à proximité du lieu de travail et sur les jours de travail, ce qui empêche que ces titres soient utilisés pendant le temps libre du salarié, et notamment lorsque le salarié est chez lui. Elle précise ici que le salarié ne peut pas utiliser un titre-restaurant pour acheter autre chose qu’un repas en restaurant, ou un repas directement consommable (même si celui-ci doit être décongelé) ou des fruits et légumes même non directement consommables, ce qui exclut que le salarié s’en serve pour financer ses courses de la semaine.

Les conditions d’utilisation des titres restaurant sont détaillés à l’article L.3262-3, alinéa 2, du code du travail selon lequel « Sous réserve des dispositions des articles L. 3262-4 et L. 3262-5, ils ne peuvent être débités qu’au profit de personnes ou d’organismes exerçant la profession de restaurateur, d’hôtelier restaurateur ou une activité assimilée, ou la profession de détaillant en fruits et légumes. » et par l’article R.3262-4 du code du travail qui dispose que : « Les titres-restaurant ne peuvent être utilisés que dans les restaurants et auprès des organismes ou entreprises assimilés ainsi qu’auprès des détaillants en fruits et légumes, afin d’acquitter en tout ou en partie le prix d’un repas. Ce repas peut être composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers. Il peut également être composé de fruits et légumes, qu’ils soient ou non directement consommables. »

Le Tribunal de Paris considère qu’au contraire de ce qui est soutenu par l’employeur, les conditions d’utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site. La distinction invoquée par l’employer est là encore considérée comme inopérante par les juges du fond.

Enfin, le Tribunal considère que le fait que l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail du 26 novembre 2020 ne comporte aucune mention expresse quant à la restauration des salariés en télétravail ne saurait permettre de conclure que l’employeur ne dispose d’aucune obligation d’attribuer des tickets restaurant aux salariés en télétravail.

Le Tribunal conclut de l’ensemble de ces éléments que la société défenderesse ne justifie pas de ce que les télétravailleurs se trouvent dans une situation distincte en raison notamment des conditions d’exercice de leurs fonctions de sorte que le refus de leur attribuer des titres restaurant ne repose sur aucune raison objective en rapport avec l’objet des titres restaurant.

En conséquence, il est jugé que les salariés en situation de télétravail au sein de la société défenderesse doivent bénéficier des titres-restaurant pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier.

3. Quelle juridiction a raison ?

Le fait que deux juridictions aussi proches géographiquement l’une de l’autre rendent des décisions contradictoires à moins de trois semaines d’intervalle a au moins le mérite de révéler que la question posée est complexe.

La position de Nanterre semble toutefois plus satisfaisante que celle de Paris. En effet, l’objet du titre restaurant est de permettre au salarié de faire face au surcoût lié à la restauration hors de son domicile s’il est dans l’impossibilité de prendre son repas à son domicile. Le principe d’égalité de traitement prévoit que des salariés placés dans une situation identique ou comparable bénéficient des mêmes droits.

Selon nous, un salarié qui télétravaille depuis son domicile peut prendre son repas à son domicile. En ce qui concerne l’objet du titre restaurant, un télé-travailleur est donc de facto dans une situation distincte d’un salarié qui travaille sur site et n’a pas accès à un restaurant d’entreprise. En toute logique, il serait donc légitime de réserver le bénéfice du titre restaurant au salarié travaillant sur site.

En outre, plusieurs réserves peuvent être émises quant à la motivation du jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris :

  • Si la définition du télétravail donnée par le Code du travail se contente effectivement d’indiquer que le télétravail est exercé « hors des locaux de l’employeur », le télétravail est exercé, dans l’immense majorité des cas, au domicile, lieu où le salarié peut préparer lui-même son repas.
  • La jurisprudence admet, depuis de longues années, qu’il est possible de réserver le bénéfice de titres restaurants à certains salariés à condition que l’employeur justifie de cette différence de traitement par des raisons objectives et pertinentes. Ex : les salariés domiciliés en dehors de la commune où est située l’entreprise, les salariés franciliens à l’exclusion de ceux de la province, compte-tenu de conditions matérielles d’existence différentes. Si la jurisprudence a admis de telles différences de traitement, on ne voit pas en quoi la distinction entre télétravailleurs et travailleurs sur site ne serait pas pertinente.
  • Le visa de la disposition selon laquelle « Un même salarié ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier » (qui n’inclut pas le verbe « devoir ») pour en tirer la conclusion que l’employeur ne serait pas libre de déterminer librement parmi les salariés lesquels peuvent bénéficier de cet avantage en nature manque de logique car cette disposition ne concerne pas l’objet du ticket restaurant mais ses conditions d’octroi. Par ailleurs, cette interprétation est contradictoire avec la position constante de la Cour de cassation selon laquelle l’employeur est en droit de réserver le bénéfice de titres restaurants à certains salariés.
  • Le Tribunal se fonde, outre sur l’interprétation orientée des textes qui a été explicitée plus haut, sur un question-réponse du Ministère du travail « Télétravail en période de COVID » du 20 mars 2020 publiée sur le site du Ministère, dans laquelle il a été indiqué que « dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télé-travailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes ». Or les avis du Ministère du travail n’ont pas d’autorité normative et ne s’imposent pas au juge.

En synthèse, le Tribunal judiciaire de Paris, dans cette décision, consacre plusieurs interprétations purement littérales des textes pour en tirer une conclusion qui manque de logique au regard de la philosophie du ticket restaurant. Nanterre consacre une interprétation davantage téléologique qui paraît plus satisfaisante.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que l’objet du titre restaurant s’est élargi depuis sa définition originelle puisque le ticket peut aujourd’hui être utilisé à d’autres fins que l’alimentation durant la pause déjeuner, par exemple pour financer ses couses de la semaine. La loi s’appliquant à l’aune de son application concrète, ce changement d’objet issu de la pratique du ticket restaurant doit être pris en compte, ce qu’a fait le Tribunal judiciaire de Paris.

Autrement dit, la pratique du ticket restaurant qui s’est développée remet en question la définition d’origine de cet avantage en nature, ce qui complexifie la question de l’impact du télétravail sur son éligibilité.

Enfin, une distinction pourrait être opérée entre :

  • Une situation normale, entrant dans le cadre de l’article L.1222-9, où le télétravail est mis en place par accord entre les parties. Dans cette hypothèse, le salarié qui se porte volontaire au télétravail, voire a lui-même pris l’initiative de le demander, ne devrait pas être éligible au titre restaurant.
  • Une situation de pandémie, dans lequel le télétravail est mis en place unilatéralement par l’employeur. Dans cette hypothèse, il apparaît plus logique de maintenir les titres restaurants aux salariés lesquels n’ont pas choisi de télé-travailler.

En présence de décisions contradictoires, la plus grande incertitude juridique pèse donc sur cette question d’octroi de tickets restaurants aux télétravailleurs. En attendant qu’une position claire soit fixée par les Cours d’appel, puis la Cour de cassation, prudence s’impose pour les employeurs.

Rédigé par

Patrick Berjaud ASSOCIÉ

Thomas Yturbe Avocat

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