Dans un arrêt du 24 octobre 2018 (l’ « Arrêt »), la Cour de cassation a rappelé les conditions d’exercice de l’action en concurrence déloyale qui, exercée conjointement avec l’action en contrefaçon, ne peut être accueillie qu’en présence de fautes distinctes de la contrefaçon.
En l’espèce, la société Cergy location services (la « Société CLS ») spécialisée dans la location et location-bail de biens personnels et immobiliers, a commercialisé une gamme d’articles dénommée « DIVA » (la « Gamme »).
La société Etablissement Coquet (la « Société requérante ») a fait procéder, le 19 mai 2011, après y avoir été judiciairement autorisée, à la saisie-contrefaçon, au siège de la Société CLS, de modèles d’assiettes et de tasses de la Gamme, offertes à la location, au motif que la Gamme reproduisait les caractéristiques originales d’un service de table dénommé « Hémisphère » détenue par la Société Requérante.
A la suite de cette saisie-contrefaçon, la Société requérante a obtenu, en appel, la condamnation de la Société CLS en contrefaçon de ses modèles non déposés d’assiettes, tasses à café et soucoupes de la gamme « Hémisphère », pour concurrence déloyale et pour agissements parasitaires.
Dans leur décision, les juges d’appel ont considéré que le « la Société CSL a commercialisé les articles contrefaisants dans les mêmes formats que ceux proposés par la société Établissements C. pour sa gamme « Hémisphère » et « qu’une telle déclinaison des articles contrefaisants, susceptible d’accroître la confusion dans l’esprit de la clientèle, caractérise des actes distincts de la contrefaçon constitutifs de concurrence déloyale ».
La Cour de cassation casse toutefois l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point au motif qu’ « en statuant ainsi, alors que la commercialisation d’une même gamme de produits est insuffisante à caractériser la commission d’actes de concurrence déloyale distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
L’Arrêt est ainsi l’occasion de rappeler les conditions de l’exercice conjoint des actions en concurrence déloyale et en contrefaçon, deux actions indépendantes (I) dont l’exercice conjoint est soumis à la preuve de faits distincts (II).
1. L’indépendance des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale
Bien que l’action en contrefaçon et l’action en concurrence déloyale entretiennent des rapports étroits, tant sur le plan matériel que sur le plan procédural, elles restent distinctes.
La Cour de cassation rappelle en effet régulièrement, sous le visa de l’article 1382 (devenu 1240) du code civil, comme c’est le cas dans l’Arrêt, que les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale ont des causes et des fondements distincts. Elle a ainsi pu juger que « l’action en concurrence déloyale n’est pas un succédané de l’action en contrefaçon et exige la preuve d’une faute relevant de faits distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon » . (1)
L’existence de causes distinctes : tandis que l’action en contrefaçon est une action attitrée réservée aux titulaires d’un droit de propriété intellectuelle, l’action en concurrence déloyale se fond dans le « moule » de la responsabilité civile délictuelle. La Cour de cassation a ainsi pu juger que l’action en concurrence déloyale était ouverte aux personnes qui ne disposent d’aucun droit privatif par exemple lorsque :
– elles exploitent un droit de propriété intellectuelle en vertu d’un contrat de licence (2) ;
– l’actif à protéger ne fait l’objet d’aucun droit de propriété intellectuelle (3) ;
– le droit de propriété intellectuelle concerné a été contesté ou est venu à expiration (4) .
L’existence d’objectifs différents. L’action en contrefaçon tend à faire reconnaître et à sanctionner l’atteinte illégitimement portée à un droit de propriété intellectuelle et, par voie de conséquence, à permettre à son titulaire d’être réintégré dans son droit auquel un tiers a illégitimement porté atteinte.
Au contraire, l’action en concurrence déloyale tend à réparer le préjudice causé à un agent économique par une faute, intentionnelle ou non intentionnelle, commise par un tiers dans l’exercice de son activité économique (5) .
2. La preuve de faits distincts dans le cadre d’un concours d’actions
Lorsque le demandeur dirige une action en contrefaçon et une action en concurrence déloyale contre la même personne plusieurs hypothèses sont à envisager, à savoir : (i) celle dans laquelle le demandeur peut invoquer parallèlement un droit privatif, et (ii) celle dans laquelle, ayant échoué à faire reconnaître ce droit, la concurrence déloyale pourrait résulter du même fait jugé non constitutif de contrefaçon mais considéré comme fautif (6) .
Lorsqu’une action en contrefaçon est accueillie, l’action en concurrence déloyale engagée conjointement n’aboutira que si elle tend à réparer les conséquences d’un fait dommageable distinct de l’atteinte sanctionnée de contrefaçon. Il a ainsi été jugé que « l’existence d’une contrefaçon n’implique pas celle d’un acte de concurrence déloyale » (7) . C’est également ce qui s’est passé en l’espèce, la Cour de cassation estimant que la commercialisation d’une même gamme de produits sanctionné au titre de la contrefaçon, n’était pas suffisante pour caractériser la commission d’actes de concurrence déloyale distincts. La raison de cette distinction réside essentiellement dans la caractérisation du préjudice. Or, admettre la possibilité de se fonder sur des faits matériellement identiques reviendrait à réparer deux fois le même préjudice.
A contrario, le rejet de l’action en contrefaçon ne provoque pas le rejet automatique de l’action en concurrence déloyale.
Le demandeur n’est dans ce cas pas tenu de fonder son action en concurrence déloyale sur des faits matériellement distincts de ceux qui ont déjà été invoqués au soutien de l’action en contrefaçon. Ainsi, la Cour de cassation a, en ce sens, précisé « qu’il n’importe pas que les faits incriminés soient matériellement les mêmes que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif ». Il n’en demeure pas moins qu’en cas d’échec de l’action en contrefaçon, il est indispensable d’établir des faits dommageables distincts. La Cour de cassation a ainsi retenu que « constitue un acte de concurrence déloyale la copie servile d’un produit commercialisé par une entreprise susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle » (8) .
Les « faits distincts » : une notion qui divise la jurisprudence.
A titre d’exemple, le parasitisme des investissements, quand il est invoqué de façon autonome, est sanctionné. En revanche, associés à une action en contrefaçon, la jurisprudence considère que l’économie réalisée par des actes de parasitisme et l’atteinte à l’image de marque sont des conséquences inéluctables de la contrefaçon et ne constituent donc pas des faits distincts (9). La solution inverse est adoptée par la première chambre civile de la Cour de cassation qui considère que le fait, pour le contrefacteur, de bénéficier d’économies en matière de conception et de réalisation publicitaire, caractérise le parasitisme, et est un fait distinct de la contrefaçon (10) .
La Cour de cassation se montrant de plus en plus exigeante dans l’appréciation du fait distinct, il semble aujourd’hui nécessaire de recourir au faisceau d’indices pour en prouver l’existence (11).
(1) Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-17.092: JurisData n° 2008-046323 ;
(2) Cass. com., 22 mars 2005, n° 02-21.105 : JurisData n° 2005-027784 : « le licencié d’une marque, qui ne dispose pas personnellement d’un droit privatif sur le titre de propriété industrielle, est recevable à agir en concurrence déloyale et parasitaire, peu important que les éléments sur lesquels il fonde la demande soient les mêmes que ceux que le titulaire de la marque aurait pu opposer » ;
(3) Cass. com., 22 oct. 2002, n° 00-14.849 : JurisData n° 2002-015990 ; Bull. civ. IV, n° 149 ;
(4) Cass. com., 12 juin 2007, n° 05-17.349 : JurisData n° 2007-039494 ; Bull. civ. IV, n° 159 ;
(5) Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.046 : JurisData n° 2011-005108 ;
(6) Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-15.050 ;
(7) Cass. 1ere civ., 15 mai 2015, n° 13-28.116 ;
(8) Cass., civ 1, 9 avril 2015, n° 14-11853 ;
(9) Cass. com., 1er juill. 2008, n° 07-14.741 : JurisData n° 2008-044704 ;
(10) Cass. 1re civ., 19 oct. 2004, n° 02-16.057, Sté d’Arcy Masius Benton etBowles c/ Sté Berluti, Olga Berluti et Sté Fiat auto France : JurisData n° 2004-025340 ;
(11) Cass. com., 8 avr. 2014, n° 13-10.689 : JurisData n° 2014-007025 : dans cet arrêt la Cour de cassation reconnait le cas dans lequel des actes pris séparément ne permettent pas de caractériser la déloyauté, alors que pris ensemble ils peuvent constituer une faute.
Rédigé par
Matthieu Bourgeois ASSOCIÉ
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