Analyse Juridique | Immatériel & Numérique
Adoption d’une proposition de loi pour la création d’un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse
31 janvier 2019

Le 24 janvier dernier le Sénat a adopté en première lecture, à l’unanimité, la proposition de loi « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse » (la « Proposition de loi »).

Les auteurs du texte initial avait déposé celui-ci à la Présidence du Sénat le 5 septembre 2018 partant du constat que « les moteurs de recherche reproduisent et diffusent, comme libres de droits, sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies sans licence » et causent, de ce fait « un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs« .

La Proposition de loi visait donc à consacrer un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse pour assurer « d’une part, une meilleure protection de leurs contenus et, d’autre part, le développement de leurs structures et de leurs produits, en protégeant leurs investissements tant humains, que financiers« .

Réunie le 16 janvier 2019, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (la « Commission ») a adopté des amendements pour rendre plus effectifs ces droits en rapprochant le texte de la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (la « Directive Copyright »)(1) dont l’article 11(2) fait toujours aujourd’hui l’objet de débats controversés en raison des campagnes de lobbying lancées par les acteurs de l’Internet.

Le texte adopté en session le 24 janvier dernier précise donc les principaux éléments du nouveau dispositif listés ci-après.

1. Le champ d’application de la Proposition de loi précisé

La Commission a adopté un amendement de réécriture complète sur l’article 3 de la Proposition de loi qui constitue la clé de voûte du nouveau dispositif, afin de retenir une rédaction plus proche du texte de la Directive Copyright que la Proposition de loi pourrait être amenée à transposer.

a) Le champ d’application du dispositif

Concernant le champ d’application de la Proposition de loi, les droits voisins s’appliqueraient aux publications de presse, notion présente dans la Directive Copyright, qui s’entend comme « une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés et constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique dans le but de fournir public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiés sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services ».

Les publications scientifiques et universitaires, qui relèvent d’un autre régime, seraient donc exclues du bénéfice des droits voisins comme le prévoit la Directive Copyright.

b) L’identité des débiteurs appelés à contribuer aux droits voisins.

Les entités appelées à s’acquitter des droits voisins seraient précisément définies avec la notion de « service de communication au public en ligne », introduit par l’article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les grandes plateformes sont comprises dans cette catégorie.

2. La durée des droits patrimoniaux des éditeurs et agences de presse abaissée de vingt à cinq ans

La version initiale de l’article 2 de la Proposition de loi instaurait une durée de cinquante (50) ans pour les droits patrimoniaux détenus par les agences de presse et les éditeurs sur leurs productions, afin d’aligner cette durée de protection sur celle des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.

La Commission a toutefois adopté un amendement pour ramener cette durée à vingt (20) ans dans l’optique de se rapprocher de la position française au niveau européen.

En séance, le Sénat a finalement décidé d’abaisser à cinq ans la durée des droits patrimoniaux détenus par les agences et les éditeurs de presse, durée adoptée par le Parlement européen dans la Directive Copyright, puisque, d’après ce dernier, « les actualités sont, par nature, plus éphémères que les autres œuvres de l’esprit soumises au droit voisin comme la fixation sur un support de la prestation des artistes-interprètes ».

3. La création d’un système de gestion collective

L’article 3 de la Proposition de loi vise à créer un système de gestion collective des droits voisins des agences et éditeurs de presse dans le but d’assurer l’effectivité de leurs nouveaux droits en créant un rapport de force plus favorable.

L’adhésion aux organismes de gestion collective est facultative. Cependant, comme le souligne la Commission « seule la gestion collective serait en mesure de parvenir à une masse critique suffisante pour permettre une réelle négociation » avec les grands acteurs d’Internet.

Ces organismes de gestion seraient gérés suivant les mêmes règles que les sociétés existantes. Le texte initial prévoyait un agrément obligatoire par le ministre en charge de la culture mais cette disposition a été supprimée par la Commission pour ne pas créer une nouvelle catégorie juridique de société de gestion collective.

Concernant la rémunération des titulaires de droits, la nouvelle rédaction de l’article L.218-4 du Code de la propriété intellectuelle précise qu’elle serait assise sur les recettes de l’exploitation, comme ce qui est déjà prévu pour la musique. Elles pourront cependant à défaut être évaluées forfaitairement sous certaines conditions.

La Proposition de loi laisse une marge de manœuvre aux éditeurs et aux plateformes pour établir entre eux les critères de rémunération liés à la mise en œuvre des droits voisins.

4. La question des hyperliens passée sous silence

La Commission souligne le choix du rapporteur, en accord avec le gouvernement, de ne pas traiter « à ce stade » la question des « simples hyperliens accompagnés de mots isolés » (3) , actuellement en discussion et dont le Parlement européen prévoit l’exclusion.

La Commission conclut donc qu’il faudra attendre le résultat des négociations européennes, voire, en cas d’échec, définir une position française sur le sujet.

5. Les conditions d’entrée en vigueur de la loi

Le texte initial de la Proposition de loi prévoyait une entrée en vigueur à l’issue de la publication du décret prévu au nouvel article L.218-4 du Code de la propriété intellectuelle, et au plus tard six mois après la promulgation de la loi.

La Commission soulève à juste titre que l’entrée en vigueur de la Proposition de loi « pose une question de compatibilité avec le droit de l’Union européenne » et envisage les deux hypothèses suivantes :

– Si un accord est trouvé concernant la Directive Copyright, la Proposition de loi pourra servir de base à une transposition de la Directive Copyright ;
– A l’inverse, la Proposition de loi pourrait constituer les prémisses d’une législation nationale.

La Proposition de loi a été renvoyée à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée Nationale qui doit se prononcer sur le texte en première lecture.

Lire le texte adopté par le Sénat en première lecture

(1) Pour en savoir plus, voir le kpratique « Droit d’auteur : adoption de la dernière version de la Directive Copyright », publié le 12 octobre 2018
(2) L’article 11 de la Directive Copyright prévoit la création au niveau européen d’un droit voisin pour les éditeurs et agences de presse.
(3) Article 11 de la Directive Copyright

Rédigé par

Laurent Badiane ASSOCIÉ

Lisa Bataille AVOCAT

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