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Droit d’auteur : adoption de la dernière version de la Directive Copyright
12 octobre 2018

Le 12 septembre 2018 dernier, le Parlement européen a voté en faveur de l’ouverture de négociations en vue de l’adoption de la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (la « Directive Copyright »).

Les eurodéputés avaient précédemment voté contre ce mandat de négociation lors de la session de juillet 2018.

Nous étudierons d’abord la version initiale de la Directive Copyright, qui vise à adapter la législation actuelle en matière de droit d’auteur et droits voisins au marché du numérique (I).

Nous aborderons ensuite les amendements votés par le Parlement qui a pris position pour un texte de compromis afin de garder un équilibre entre la protection des titulaires de droits, et la liberté des utilisateurs (II).

1. Contexte et objectif de la Directive Copyright

La dernière législation européenne sur le droit d’auteur date de la directive n°2001.29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (la « DADVSI ») (1) , transposée en droit français par la loi n°2006-961 du 1er août 2006 . (2)

La DADVSI s’attachait notamment à poser des principes généraux du droit d’auteur qui redéfinissaient le contenu des droits d’exploitation, et délimitaient le champ d’application des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur.

La DADVSI a été adoptée dans un contexte où la naissance de la technique de numérisation affaiblissait le monopole de l’auteur en permettant la dématérialisation d’une œuvre, quelle que soit sa forme, facilitant ainsi sa reproduction à l’infini et sa communication au public.

Aussi, les débats relatifs à l’adoption de la DADVSI avaient été mouvementés en raison de la difficile conciliation entre le respect du monopole de l’auteur et le droit à l’information.

Aujourd’hui, la numérisation désormais ancrée dans nos sociétés bouleverse les modèles économiques dont les principaux acteurs sont les grandes plateformes comme Facebook, Google, ou encore YouTube.

Initialement présenté en septembre 2016 par la Commission européenne, le projet de Directive Copyright avait donc pour objet d’adapter le droit d’auteur à l’ère numérique afin de maintenir l’équilibre entre, d’une part, les titulaires de droits d’auteurs et droits voisins et, d’autre part, les utilisateurs.

Ce texte initial avait pour objectifs :

i. l’adaptation des exceptions et limitations du droit d’auteur et des droits voisins à l’environnement numérique et transfrontière ;

ii. l’amélioration des pratiques en matière de licences ;

iii. la garantie du bon fonctionnement du marché des droits d’auteur.

Le texte initial, présenté en 2016, a toutefois subi des modifications en raison de nombreuses contestations qui ont poussé le Parlement européen à adopter un texte de compromis (la « Version amendée »).

2. L’adoption d’une version de compromis par le Parlement européen

Bien qu’il y ait eu consensus sur la nécessité de mieux rémunérer les créateurs et de garantir la liberté d’expression, les débats se sont focalisés sur deux dispositions au cœur des intérêts de lobbyistes.

– La restriction du champ d’application de l’article 11 relatif à « La protection de des publications de presse en ce qui concerne les utilisations numériques »

L’article 11 permet la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse qui pourront ainsi se faire rémunérer lors de la réutilisation en ligne, même partielle, de leurs articles.

La Version amendée apporte des précisions quant à la nature de leur rémunération qui doit être « juste et proportionnée » et destinée à l’utilisation numérique de leurs publications de presse par des « prestataires de services de la société de l’information ».

En outre, la Version amendée consacre une exception au profit de l’utilisation légitime, à titre privé et non commercial, de publication de presse par des utilisateurs particuliers.

Par ailleurs, le simple partage d’ « hyperliens accompagnés de mots isolés » échapperont à l’obligation de rémunération. Cette position est conforme à l’interprétation de la DADVSI par la Cour de justice de l’Union européenne qui avait jugé que « ne constitue pas un acte de communication au public la fourniture sur un site internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site internet » .
(3)

Enfin, la Version amendée accorde aux auteurs une « part appropriée » des recettes supplémentaires que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation d’une publication de presse. La version amendée ne définit toutefois pas la notion de « part appropriée ».

– L’atténuation de la responsabilité des plateformes de diffusion en ligne

Par diverses dispositions, la Version amendée a atténuée la responsabilité des principaux acteurs de l’économie du numérique par rapport à la version initiale.

La suppression du filtrage automatique

L’article 13 a été plus profondément retouché, allégeant le poids sur les épaules des plateformes de diffusion de contenus dont certains sont protégés par le droit d’auteur.

Pour rappel, la version initiale de l’article 13 de la Directive Copyright imposait aux plateformes de diffusion en ligne la mise en place de mécanismes de filtrage automatique des contenus postés par les internautes, à défaut d’accord avec les ayants droit, afin que les contenus en question ne contreviennent pas au droit d’auteur.

La Version amendée précise désormais que le « blocage automatique doit être évité » au maximum du fait du risque de censure inhérente à ce type de mécanisme.

Aussi, la mise en place d’un mécanisme de filtrage automatique aurait remis en cause la qualification même de l’hébergeur de contenu ainsi que son régime de responsabilité allégée, ce dernier n’étant soumis à aucune obligation générale de surveillance ou de filtrage a priori du contenu . (4)

La Version amendée introduit en outre davantage de garanties au profit des plateformes de diffusion en ligne pour éviter les risques de suppressions injustifiées de contenus.

L’obligation de conclure des licences

Aussi, la Version amendée impose désormais aux plateformes de partage de contenus en ligne de conclure des contrats de licence « justes et appropriés ».

Ces contrats de licence couvriront la responsabilité des œuvres chargées par les utilisateurs des plateformes à condition qu’ils n’agissent pas dans un but commercial.

En cas de refus de conclure ces contrats, les États membres pourront faire en sorte que les œuvres ne soient pas disponibles par le biais de ces sites.

La mise en place d’un nouveau dispositif de plainte

Enfin, la Version amendée impose aux plateformes de diffusion de mettre en place des dispositifs de plainte et de recours effectifs à l’intention des utilisateurs dont le contenu aurait été injustement retiré.

Le Parlement, le Conseil et la Commission peuvent désormais lancer les pourparlers pour aboutir à une version définitive de la Directive Copyright.

En savoir plus

(1) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, J.O.C.E, 22 juin 2001, L 167/10 ;
(2) Loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information ;
(3) CJUE, 13 févr. 2014, aff. C-466/12, Svensson : JurisData n° 2014-003261 ;
(4) L. n° 2004-575, 21 juin 2004, art. 6-I, 7, al. 1

Rédigé par

Laurent Badiane ASSOCIÉ

Lisa Bataille AVOCAT

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