L’ouverture de l’assurance chômage aux salariés démissionnaires poursuivant un projet professionnel réel et sérieux.
Promesse de campagne du président Emmanuel Macron, l’ouverture de l’assurance chômage à certains démissionnaires est sans doute le point le plus médiatique de la réforme de l’assurance chômage intervenue par les décrets n°2019-796 et 2019-797 du 26 juillet 2019 et parachevée par les textes publiés cet automne (en particulier la circulaire UNEDIC 2019-12 du 1er novembre 2019) pour en préciser le contenu. C’est pourquoi nous dédions à cette question un K pratique complet. Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er novembre 2019.
Après avoir présenté le mécanisme dans son principe (1), nous analyserons les conditions (2) puis nous questionnerons sur la portée de cette réforme (3).
1. Le principe
Avant le 1er novembre 2019, seules certaines démissions, considérées comme légitimes (telles que la démission du salarié qui rompt son contrat de travail pour suivre son conjoint qui change de lieu de résidence pour exercer un nouvel emploi,) ouvraient droit à l’assurance chômage. Statistiquement, la réalité de ces démissions était très faible.
Désormais, en application des articles L.5422-1 et L.5422-1-1 du Code du travail réformés par la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018, dite loi Avenir professionnel, entrés en vigueur le 1er novembre 2019, un salarié démissionnaire qui souhaite poursuivre un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou se lancer dans un projet de création ou de reprise d’entreprise peut bénéficier de l’allocation de retour à l’emploi (ARE). En somme, cette cause de démission vient s’ajouter à la liste des démissions considérées comme légitimes. Elle est cependant soumise à des conditions d’activité antérieures spécifiques. (1)
Selon l’étude d’impact du projet de loi Avenir professionnel, le nombre de salariés concernés se situerait entre 17.000 et 30.000 par an : « Pour la plupart, les bénéficiaires de la mesure seront des salariés qui n’auraient pas démissionné en l’absence de réforme. Les autres bénéficiaires, moins nombreux, seront des salariés qui auraient démissionné même en l’absence d’indemnisation, afin de mener leur projet de formation ou de création d’entreprise. » (2) Cette réforme produira l’effet inverse de celles de toutes les mesures explicitées dans le précédent volet de notre K pratique, puisqu’elle augmentera mécaniquement le nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage. D’après l’étude d’impact de la loi Avenir professionnel, le coût net de cette mesure pour l’Assurance chômage serait compris entre 230 millions et 345 millions d’euros par an. (3)
L’article L.5422-1 II du Code du travail dispose que :
« II. Ont également droit à l’allocation d’assurance les travailleurs dont la privation d’emploi volontaire résulte d’une démission au sens de l’article L. 1237-1 (…) aptes au travail et recherchant un emploi qui :
1° Satisfont à des conditions d’activité antérieure spécifiques ;
2° Poursuivent un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou un projet de création ou de reprise d’une entreprise. Ce projet doit présenter un caractère réel et sérieux attesté par la commission paritaire interprofessionnelle régionale ».
Ce mécanisme était donc prévu, dans son principe, par la loi Avenir professionnel dès l’autonome 2018 puis a été précisé par les textes parus durant l’été et l’automne 2019, de telle sorte que nous en avons à présent une vision assez précise. Le règlement annexé au décret 2019-797 du 26 juillet 2019 est rédigé de manière très similaire à l’article précité. (4)
Jusqu’ici, le fait de quitter volontairement son emploi pour se reconvertir ou pour se lancer dans la création ou la reprise d’une entreprise équivalait pour un salarié français à prendre un risque financier important, de telle sorte que beaucoup n’osaient pas sauter le pas pour des raisons légitimes (5). L’auto-censure tuait dans l’œuf un grand nombre de projets.
L’objectif du gouvernement Édouard Philippe est donc d’encourager les salariés à quitter la sécurité juridique et économique d’un CDI pour entreprendre et/ou se reconvertir.
En outre, cette nouveauté est complétée par l’ouverture du chômage aux indépendants dont l’entreprise est en redressement ou en liquidation. (6)
Ainsi, le mécanisme subit une transformation majeure : non seulement le démissionnaire peut désormais percevoir l’Allocation de Retour à l’Emploi durant la création ou la reprise d’une entreprise mais il sera ensuite éligible à une autre allocation, celle des travailleurs indépendants (ATI) si cette entreprise fait faillite.
2. En pratique
Nous examinerons successivement les conditions de cette démission (a), puis la procédure à suivre par le salarié pour pouvoir bénéficier de l’assurance chômage (b) et enfin le contrôle exercé par Pôle Emploi une fois les allocations perçues (c).
a. Des conditions strictes
Afin d’éviter les abus auxquels pourrait conduire le fantasme de démissionner pour chômer, plusieurs conditions spécifiques doivent être cumulativement remplies par le salarié démissionnaire :
• Avoir travaillé en tant que salarié de façon continue durant les 5 années précédant la fin du contrat de travail (durée d’affiliation d’au moins 1.300 jours travaillés, soit 260 jours par an, au cours des 60 mois précédant la fin du contrat) (7). Cette condition s’apprécie au terme du préavis (8). Le caractère continu est assez strict, puisque « en cas de changement de contrat de travail, le moindre laps de temps séparant la fin du précédent contrat du début du suivant empêche de remplir cette condition. » (9)
En revanche, tant que les périodes d’activité se sont succédées sans discontinuité, elles peuvent être recherchées auprès d’un ou plusieurs employeurs (10) . Deux idées sous-tendent cette première condition : le salarié doit avoir contribué financièrement au système durant un certain temps avant d’en récolter les fruits et il doit avoir acquis une certaine maturité professionnelle avant de se lancer avec assurance dans un projet. De cette condition de durée et de continuité, il découle que les réformes concernant l’ouverture des droits (11) et le calcul du salaire journalier de référence (12) étudiés dans le premier volet n’auront pas d’impact sur ces salariés démissionnaires ;
• Prioritairement à la démission, demander à bénéficier d’un conseil en évolution professionnelle (CEP). Ce CEP délivre au demandeur un conseil sur son projet et un accompagnement pour sa mise en œuvre (13). La circulaire n°2019-12 du 1er novembre 2019 précise expressément que le caractère préalable de cette condition est déterminant, c’est à dire que la démission n’est pas recevable si le salarié a démissionné avant la demande de CEP (14) .
• Justifier d’un projet réel et sérieux (15), soit de reconversion professionnelle nécessitant une formation, soit de création d’entreprise (16).
Le caractère « réel et sérieux », contenu dans cette dernière condition, est apprécié par une Commission paritaire interprofessionnelle régionale (bientôt dénommée CPIR dans le jargon), composée de représentants des syndicats et du patronat. La CPIR compétente est celle de la région de résidence du démissionnaire. Les CPIR ont été créées par l’Accord national interprofessionnel constitutif des Commissions paritaires interprofessionnelles régionales du 15 mars 2019. Elles entreront en fonction le 1er janvier 2020 (17).
Cette commission, dotée de la personnalité morale et dont le rôle est détaillé à l’article L.6323-17-6 du Code du travail (18), prend en charge financièrement le projet de transition professionnelle.
Pour le projet de reconversion, seront étudiés :
– Le projet de reconversion lui-même ;
– les caractéristiques du métier souhaité ;
– la formation envisagée et les modalités de financement envisagées ;
– les perspectives d’emploi à l’issue de la formation (19).
Pour les projets de création ou de reprise d’une entreprise, seront analysés :
– les caractéristiques et les perspectives d’activité du marché de l’entreprise à créer ou à reprendre ;
– les besoins de financement et les ressources financières de l’entreprise à créer ou à reprendre ;
– les moyens techniques et humains de l’entreprise à créer ou à reprendre (21).
L’article précise que ces éléments sont étudiés par la CPIR « au regard de la cohérence et de la pertinence des informations suivantes et de leur connaissance par le salarié », l’idée étant de responsabiliser le salarié dans sa démarche. La CPIR s’assure qu’il ait bien connaissance du caractère réaliste de son projet.
b. La procédure
Avant la démission, le Conseil en évolution professionnelle (CEP) et le salarié établissent conjointement le projet de reconversion professionnelle ou de création ou de reprise d’entreprise.
Une fois ce projet établi, le salarié transmet, par tout moyen conférant date certaine et avec pièces justificatives (21) , une demande d’attestation à la Commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR).
L’arrêté du 23 octobre 2019 relatif au contenu de la demande d’attestation du caractère réel et sérieux des projets professionnels des salariés démissionnaires fournit en annexe des formulaires types de demandes d’attestation :
• Du caractère réel et sérieux du projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation (annexe 1 de l’arrêté) ;
• Du caractère réel et sérieux du projet de création ou de reprise d’entreprise (annexe 2 de l’arrêté).
Dans chacun de ces formulaires, dont l’utilisation est obligatoire, un volet est à remplir par le demandeur avant de l’adresser à la CPIR.
Une fois la demande reçue, la CPIR examine le projet et, si elle le considère comme réel et sérieux, remplit son volet et renvoie l’attestation complétée au demandeur. Cette attestation est donc le grâle pour accéder à Pôle Emploi.
Les délais à connaitre sont les suivants :
• En cas de refus de son projet par la CPIR, le salarié dispose d’un délai de 2 mois (à compter de la date de rejet) pour former un recours gracieux devant une instance paritaire de recours créée au sein de cette CPIR. Ce recours est examiné dans les mêmes conditions que lors d’un refus de prise en charge d’un projet de transition professionnelle (ancien dispositif du CIF destiné aux salariés)(22). La décision prise sur le recours gracieux est notifiée au salarié dans un délai de 2 mois à compter de la date de dépôt du recours. En cas de confirmation du rejet, elle est motivée.
• En cas d’acceptation du projet par la CPIR, le démissionnaire dispose alors d’un délai de 6 mois pour réaliser son inscription auprès de Pôle Emploi, appuyée de l’attestation complétée et accomplir les démarches nécessaires à la réalisation de son projet. Le règlement précise également que cette demande doit intervenir au plus tard dans les 12 mois suivant la démission.
Dans un objectif de transparence et peut-être de pédagogie vis-à-vis du salarié, tout refus d’attester du caractère réel et sérieux du projet professionnel doit être motivé par la CPIR.
Un silence ne vaut donc ni refus ni acceptation mais signifie simplement qu’il faut attendre.
Curieusement, les textes ne fixent aucun délai pour l’examen du caractère réel et sérieux par la CPIR. Seul le salarié et l’instance de recours sont soumis à des délais.
c. L’indemnisation et le contrôle étroit par Pole Emploi.
Contrairement aux autres allocataires de l’Allocation de Retour à l’Emploi, ces salariés ne sont pas tenus de rechercher un emploi (c’est pourquoi la terminologie d’allocation de retour à l’emploi est d’ailleurs impropre à ce cas de figure) mais ils sont bien évidemment tenus de mettre en œuvre leur projet.
Une fois le chômage obtenu, Pôle Emploi vérifie la mise en œuvre du projet de reconversion avec un contrôle qui intervient au plus tard 6 mois après l’ouverture du droit à l’ARE. Si l’intéressé n’est pas en mesure de justifier de cette mise en œuvre (ni d’un motif légitime qui l’aurait empêché), il est radié de la liste des demandeurs d’emploi avec interdiction de se réinscrire dans les 4 mois qui suivent.
3. Et après ?
Même si cette réforme est, pour l’heure, assez timide (conditions très strictes, procédure lourde et complexe), elle a le grand mérite de rompre avec le vieux principe selon lequel le salarié qui démissionnait n’avait aucun filet de sécurité. Si cette nouveauté produit ses fruits, si l’entreprise créée par le démissionnaire fonctionne, les effets sur l’emploi seront positifs : l’entreprise quittée par le démissionnaire recrutera un autre salarié pour le remplacer et surtout le démissionnaire embauchera sa propre main d’œuvre dans son entreprise en croissance.
L’accompagnement préalable du CEP à l’établissement du projet aura-t-il une réelle utilité ? Les membres de la CPIR auront-ils une bonne connaissance du secteur dans lequel le salarié présente son projet ? Quelle sera la qualité et l’étendue du contrôle mené par la commission ? A combien s’élèvera le taux de validation des demandes ? Quel sera le taux de personnes qui tenteront de frauder le système pour bénéficier de l’allocation durant 6 mois tout en restant inactifs ? Autant de questions auxquelles seule l’expérimentation pourra répondre, mais le changement d’état d’esprit est initié.
L’UNEDIC prévoit dès 2020 un nombre significatif d’ouverture de droits. En effet, « ce dispositif peut offrir une opportunité de réalisation à des projets déjà élaborés mais jusque-là sans concrétisation possible financièrement. Il est alors possible qu’un nombre significatif de salariés se saisissent de l’opportunité de le réaliser dès la première année de mise en œuvre ». (23)
Attendons l’évaluation à laquelle procédera le Ministère du travail fin 2020 après un an d’expérimentation.
(1) Voir infra
(2) Note d’impact de l’UNEDIC, page 35
(3) Etude d’impact de l’UNEDIC, page 35
(4) « Ont également droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi les salariés dont la privation volontaire d’emploi résulte d’une démission au sens de l’article L. 1237-1 du code du travail, qui justifient d’une durée d’affiliation spécifique et poursuivent un projet professionnel dont le caractère réel et sérieux est attesté par la commission paritaire interprofessionnelle régionale(…). Règlement, titre I, chapitre 1
(5) Outre que l’accès au crédit est beaucoup plus complexe pour les libéraux que pour les salariés
(6) La loi du 5 septembre 2018 a créé une nouvelle section dans le Code du travail (cinquième partie, livre IV, titre II, chapitre 4, section 4), intitulée « Allocation des travailleurs indépendants. » Elle contient les articles L.5424-24 à L.5424-28. Cette réforme a été précisée par une circulaire autonome n°2019-13 du 1er novembre 2019 relative aux règles applicables aux travailleurs indépendants en cessation d’activité Ce pan de la réforme pourra faire l’objet d’un autre K pratique
(7) Les périodes de congés sans solde et assimilés d’une durée supérieure ou égale à 1 mois civil ne sont pas prises en compte dans la durée d’affiliation
(8) Circulaire UNEDIC n°2019-12 du 1er novembre 2019, page 71
(9) Les conditions d’application du droit à chômage pour les démissionnaires sont définies, Editions Francis Lefebvre, 26/08/2019
(10) Circulaire UNEDIC n°2019-12 du 1er novembre 2019, page 71
(11) La période minimale de travail ouvrant droit à indemnisation passe de 4 mois à 6 mois
(12) La période de référence utilisée pour le calcul est désormais de 2 ans et les jours non travaillés sont désormais inclus dans la base de calcul.
(13) Nouvel article L.5422-1-1 : « Pour bénéficier de l’allocation d’assurance au titre du II de l’article L. 5422-1, le travailleur salarié demande, préalablement à sa démission, un conseil en évolution professionnelle auprès des institutions, organismes ou opérateurs mentionnés à l’article L. 6111-6, à l’exception de Pôle emploi et des organismes mentionnés à l’article L. 5314-1, dans les conditions prévues à l’article L. 6111-6. Le cas échéant, l’institution, l’organisme ou l’opérateur en charge du conseil en évolution professionnelle informe le travailleur salarié des droits qu’il pourrait faire valoir pour mettre en œuvre son projet dans le cadre de son contrat de travail. »
(14) Circulaire UNEDIC n°2019-12 du 1er novembre 2019, page 72
(15) Adjectifs très familiers aux praticiens du droit du travail, même s’ils sont cette fois utilisés dans un tout autre contexte
(16) Article 5422-1-1 du Code du travail
(17) A titre transitoire, c’est le FONGECIF (Fonds de Gestion des Congés Individuels de Formation) qui assure ce rôle entre le 1er novembre 2019 et le 1er janvier 2020.
(18) Disposition purement et simplement crée par la loi du 5 septembre 2018
(19) Article R.5422-2-1, crée par le décret n°2019-796 du 26 juillet 2019
(20) Même disposition
(21) Programme, calendrier et montant des frais pédagogiques et des frais d’inscription de la ou les actions de formation envisagées + le cas échéant, en fonction des éventuels prérequis attendus dans le cadre de la ou des actions de formation envisagées, copie des diplômes, validation des acquis de l’expérience professionnelle ou tout document attestant du fait que le demandeur dispose des niveaux de connaissance, de savoir-faire ou d’expérience nécessaires au suivi de la formation
(22) Article R. 5422-2-2 alinéa 2 du code du travail
(23) Note d’impact de l’UNEDIC, page 35
Rédigé par
Patrick Berjaud ASSOCIÉ
patrick.berjaud@kleinwenner.eu
+33 (0)1 44 95 20 00
Thomas Yturbe Avocat
thomas.yturbe@kleinwenner.eu
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