Par un arrêt en date du 6 janvier 2021 (Soc, 17-28.234), la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré, sur le fondement du principe de droit civil de restitution de l’indu, que lorsqu’une convention de forfait en jours est privée d’effet, le salarié est tenu de rembourser à son employeur les jours de réduction du temps de travail (RTT) dont il a bénéficié au titre de cette convention. Désormais les salariés devront être vigilants lorsqu’ils contestent leur forfait jours.
La validité des forfaits jours est très souvent contestée par les salariés, leurs avocats jouant sur le strict encadrement législatif de ce dispositif, renforcé par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 (loi Travail), dont l’objectif était de garantir le respect du droit au repos du salarié. Le 6 janvier 2021, la chambre sociale apporte une solution équilibrée selon laquelle, lorsqu’une convention de forfait est judiciairement privée d’effet, les jours de repos dont a bénéficié le salarié au titre de cette convention doivent être remboursés par ce dernier.
Cette jurisprudence s’inscrit dans la même lignée que l’arrêt rendu en mars 2019 à propos du forfait en heures : lorsqu’un juge du fond constate que les salariés ne sont pas éligibles à la convention de forfait en heures à laquelle ils ont été soumis, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention devient indu (1) .
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le non-respect par l’employeur des dispositions conventionnelles relatives aux modalités d’application du forfait en jours (contrôle, suivi du temps et de la charge de travail etc.) prive d’effet la convention de forfait jusqu’à ce que l’employeur ait rectifié l’irrégularité soulevée (2) .
Afin de garantir une certaine sécurité juridique des forfaits en jours, la chambre sociale a en effet tempéré, dans cette hypothèse, la sévérité de la sanction, laquelle n’est pas la nullité de la convention mais la privation d’effet. La convention est ainsi suspendue durant la période où l’entreprise ne se conforme pas aux dispositions de l’accord collectif mais l’employeur peut régulariser la situation, ce qui réactive pour l’avenir le forfait jours. Il s’agit donc d’une inopposabilité temporaire au salarié (3). C’est sur l’étendue de cette privation d’effet que la Cour de cassation a statué en janvier 2021.
1. Le litige : l’inopposabilité du forfait jours au salarié entraîne-elle l’obligation de rembourser les RTT ?
Embauché en 1999, un salarié, bénéficie à compter du 1er septembre 2011 du statut de cadre et est soumis, à compter de cette date, à une convention individuelle de forfait de 216 jours par an. Cette convention est conclue sur la base de l’article 57 de la convention collective nationale des activités industrielles de boulangerie pâtisserie, qui fixe les garanties permettant à l’employeur d’assurer le contrôle et le suivi de l’amplitude et de la charge de travail des salariés. Licencié en 2014, le salarié saisit le conseil des prud’hommes et fait valoir que son employeur n’a pas, entre septembre 2011 et janvier 2014, respecté les modalités de contrôle et de suivi de son forfait jours. Il en résulte que le forfait jours est privé d’effet et que le salarié est fondé à obtenir des rappels de salaires pour les heures supplémentaires. Au cours du litige, l’employeur développe une argumentation subsidiaire selon laquelle, dans l’hypothèse où les juges du fond considèreraient que la convention de forfait est inopposable au salarié, le salarié devrait alors être condamné à rembourser les jours de réduction du temps de travail (ci-après RTT) dont il avait bénéficié en exécution du forfait jours litigieux. Le 27 septembre 2017, la Cour d’appel de Rennes rejette l’argumentation de l’employeur en jouant sur la distinction entre nullité et privation d’effet. La Cour d’appel prive d’effet la convention de forfait et condamne l’employeur à verser au salarié des rappels d’heures supplémentaires, tout en considérant que le salarié n’est pas tenu de rembourser les jours de RTT. Selon la Cour d’appel, la privation d’effet de la convention de forfait en jours, qui n’est pas annulée, ne saurait avoir pour conséquence de priver le salarié de l’octroi des jours de réduction de temps de travail. Considérant cette position illogique, l’employeur forme un pourvoi en cassation sur cette question bien spécifique. En janvier 2021, la Cour de cassation lui donne raison.
2. La réponse positive de la chambre sociale : l’application de la restitution de l’indu aux jours de RTT
Le 6 janvier 2021, la Cour de cassation a adhéré au raisonnement de l’employeur selon lequel « lorsque l’employeur n’assure pas l’effectivité des règles relatives à la protection de la sécurité et de la santé du travailleur, cette défaillance prive l’employeur de la possibilité de se prévaloir de la convention de forfait, qui, de ce fait, n’est pas nulle mais privée d’effet ; que l’inopposabilité de la convention de forfait entraîne le décompte du temps de travail et des heures supplémentaires selon le droit commun du code du travail ; que les journées de jours de réduction du temps de travail étant la contrepartie de la forfaitisation, elles constituent un tout avec le régime forfait et un avantage indissociable de l’application du forfait ; que ces jours de réduction du temps de travail perdent tout objet en cas de suppression de ce forfait, peu important que celui-ci soit déclaré sans effet et non nul ; qu’en retenant au contraire que la privation d’effet de la convention de forfait en jours ne privait pas le salarié du droit au paiement des jours de réduction du temps de travail prévus dans ladite convention, la cour d’appel a violé les articles L. 3121-1, L. 3171-4 et L. 3121-43 et suivants du code du travail dans leur version applicable au litige. »
Au visa de la répétition de l’indu, la Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel de Rennes. L’article 1302-1 nouveau (1376 ancien) du Code civil dispose que « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. » Au visa de cette disposition, la Cour de cassation répond : « Pour débouter l’employeur de sa demande en remboursement des jours de réduction du temps de travail accordés, l’arrêt retient que la privation d’effet de la convention de forfait en jours, qui n’est pas annulée, ne saurait avoir pour conséquence de priver le salarié de l’octroi des jours de réduction de temps de travail. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis était privée d’effet, en sorte que, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention était devenu indu, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » Sauf résistance de la Cour d’appel de renvoi, le salarié sera donc, dans cette espèce, condamné à rembourser les RTT en même temps que l’employeur sera condamné à rémunérer les heures supplémentaires. Il y a donc lieu, lors de l’exécution d’une décision judiciaire privant d’effet un forfait jours, d’opérer une compensation entre les rappels de salaires pour heures supplémentaires auquel est condamné l’employeur et les jours de RTT dont a bénéficié à tort le salarié. En matière de privation d’effet de convention de forfait, la Cour de cassation considère donc que les salariés ne peuvent jamais avoir « le beurre et l’argent du beurre », c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas obtenir judiciairement le paiement d’heures supplémentaires tout en conservant le bénéfice des jours de RTT acquis au titre du forfait jours privé d’effet.
3. Une solution juridiquement satisfaisante
Cette solution est logique. Dès lors qu’une convention de forfait est privée d’effet, elle est suspendue : elle ne s’applique pas durant toute la période où l’employeur ne se conforme pas aux stipulations conventionnelles relatives à la protection de la santé et du droit au repos. Durant cette période de suspension, le temps de travail doit être décompté selon les dispositions légales. Or les jours de RTT sont la contrepartie directe du forfait : ils constituent un tout avec le forfait. En tout état de cause, des jours de repos ne peuvent pas se cumuler, pour les mêmes heures de travail, avec les majorations de salaires pour heures supplémentaires. En pratique, lorsqu’un salarié conteste le respect par l’employeur de sa convention de forfait, son contrat de travail est déjà rompu dans la grande majorité des cas et il est donc impossible pour l’employeur de régulariser pour l’avenir la situation. Il en résulte que la privation d’effet a, dans cette situation, les mêmes conséquences juridiques que la nullité. Même en cas de régularisation postérieure par l’employeur, il est logique que les RTT soient indus durant la période d’inopposabilité. En cas de nullité du forfait jours, le remboursement des RTT semble aller de soi. Ainsi, l’intérêt à agir des salariés en contestation de leur convention de forfait est de facto limité par cette jurisprudence. En effet, si la compensation entre le paiement par l’employeur des heures supplémentaires, d’une part, et le remboursement par le salarié des RTT, d’autre part, réduit à une peau de chagrin le montant de la créance du salarié, certains salariés pourront trouver plus simple de ne pas se lancer dans un contentieux long et coûteux. Ils préféreront conserver le bénéfice des RTT, sans oublier que la preuve de l’accomplissement d’heures supplémentaires est souvent une tâche complexe et chronophage pour les salariés. Cette décision constitue aussi un levier de négociation important pour les employeurs. Lorsque dans le cadre d’un précontentieux, un salarié soulève l’inopposabilité d’un forfait-jours, l’employeur répondra qu’en cas de saisine du juge, le salarié s’expose à devoir rembourser tous les jours de RTT acquis.
(1) Soc,13 mars 2019, n°18-12.926 (2) Soc, 19 fév.2014, n°12-22.174 ; Soc, 2 juillet 2014, n°13-11.940, Soc, 22 juin 2016, n°14-15.171 (3) En revanche, lorsque le forfait jours est mis en place en dehors des conditions imposées par la loi, ou à défaut de garanties satisfaisantes (ex : non-respect des conditions de mise en place fixées par les accords collectifs), il est déclaré nul par le juge saisi, ce qui rend le forfait définitivement inopposable au salarié, pour le passé, le présent et l’avenir
Rédigé par
Patrick Berjaud ASSOCIÉ
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Thomas Yturbe Avocat
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