Analyse Juridique | Social
Déconfinement et obligation de sécurité de l’employeur
4 mai 2020

Avant la reprise d’activité, l’employeur doit évaluer les risques sanitaires dans l’entreprise, mettre en place des mesures de prévention, mettre à jour le Document Unique d’Evaluation des Risques et le règlement intérieur.

Le déconfinement partiel à partir du 11 mai 2020 malgré l’épidémie encore active de Covid-19 va contraindre les employeurs à une obligation de sécurité inédite à l’égard de leurs salariés.
Si le Premier Ministre Edouard Philippe n’a pas apporté de précision particulière sur ce sujet lors de son allocution devant l’Assemblée nationale le 28 avril 2020, la vigilance particulière à laquelle vont être tenus les employeurs se déduit tant du contexte pandémique lui-même que des recommandations antérieures du Ministère du travail et des décisions rendues au cours du mois d’avril 2020 impliquant Amazon, la Poste et un Carrefour Hypermarché.

L’obligation de santé sécurité est prévue à l’article L.4121-1 du Code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 (1) ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

L’article L.4121-2 déroule une liste de principes généraux de prévention devant servir de fondement à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L.4121-1 précité.

Sur l’interprétation des deux dispositions légales précitées, la chambre sociale de la Cour de cassation semble avoir évolué d’une obligation de sécurité de résultat – indemnisation systématique en cas de dommage- à un devoir de prévention : l’employeur peut échapper à la responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les deux articles précités du Code du travail (2).

L’article L.4121-3 fournit, quant à lui, à l’employeur des lignes directrices pour mettre en œuvre l’obligation de sécurité et le devoir de prévention : « L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.
A la suite de cette évaluation, l’employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement. »

Les trois décisions impliquant Amazon, la Poste et Carrefour, rendues au mois d’avril 2020, démontrent que les juridictions feront preuve d’une certaine sévérité dans le contexte de la pandémie de Covid-19 et invitent donc l’employeur à la plus grande prudence dans la mise en œuvre de l’obligation de sécurité lors du déconfinement.

C’est pourquoi les entreprises doivent anticiper le retour des salariés sur leur lieu de travail en procédant à la mise en œuvre rigoureuse de leur devoir de prévention en trois étapes :
1° Une évaluation des risques sanitaires ;
2° La mise à jour du Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER) recensant les risques identifiés ;
3° La mise en place de mesures de prévention de nature à réduire drastiquement le risque de contamination des salariés sur leur lieu de travail.

Le dialogue social est capital dans ce contexte. En effet, l’administration demande à l’employeur d’associer le CSE à cette démarche (3) et la décision de référé rendue à l’encontre d’Amazon le 24 avril 2020 l’a rappelé puisque la Cour d’appel de Versailles a ordonné à Amazon de consulter le CSE central et les CSE d’établissement sur l’évaluation des risques liés au Covid-19. Rappelons qu’en tout état de cause, le Code du travail impose la consultation du CSE préalablement à toute modification importante de l’organisation du travail, laquelle résultera sans doute de la mise en œuvre de l’obligation de sécurité.

Nous étudierons successivement l’évaluation des risques sanitaires qui se traduira par une actualisation du DUER (1), puis la mise en œuvre de mesures de prévention (2) et enfin l’utilité d’incorporer les consignes de sécurité dans le règlement intérieur ou une note de service (3).

1. L’évaluation des risques sanitaires et la mise à jour du DUER

L’instrument fondamental de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu l’employeur, et des obligations d’évaluation des risques et de mise en œuvre des actions de prévention qui en découlent, est le Document Unique d’Evaluation des Risques (ci-après DUER).

Le DUER est défini à l’article R. 4121-1 du Code du travail: « L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3. b[Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement (…) ».]b

L’obligation de rédiger un DUER existe en l’absence de toute condition d’effectif, c’est-à-dire que les entreprises de toute taille sont concernées (TPE-PME et GE). Une entreprise qui ne possède pas de DUER s’expose à une sanction pénale (amende d’un montant de 1.500 euros (4) ) en vertu de l’article R.4741-1 du Code du travail et à une indemnisation des salariés du seul fait de cette carence (Soc, 8 juillet 2014, 13-15.470).

Ce document doit être tenu à la disposition notamment des salariés (qui doivent être informés de la possibilité d’accéder au document), des membres du CSE, du médecin du travail, des agents de l’inspection du travail et des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale (article R.4121-4).

Avant même la pandémie actuelle, le DUER avait pris une importance considérable dans le cadre des contentieux pénaux (infraction d’imprudence ou de négligence ayant entraîné un accident du travail ou une maladie professionnelle) ou dans les contentieux de sécurité sociale relatifs à la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.

L’article R.4121-2 prévoit que :
« La mise à jour du document unique d’évaluation des risques est réalisée :
1° Au moins chaque année ;
2° b[Lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (…)
]b
b[3° Lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie. »]b

La dangerosité et la contagiosité du Covid-19 entraînent la nécessité pour l’employeur de mettre à jour le DUER, même si la dernière mise à jour remonte à moins d’un an. Dès le 28 février 2020, la Direction générale du travail (DGT) avait préconisé le renouvellement de l’évaluation des risques dans l’entreprise en raison de l’épidémie afin de réduire au maximum les risques de contagion sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail et la retranscription de cette nouvelle évaluation dans le DUER.

Il s’agit, par exemple, d’identifier les zones où la densité de salariés est forte (ascenseurs, cantine, open-space etc.) et le matériel susceptible d’être manipulé par plusieurs personnes.

Plus le DUER sera complet, plus l’engagement de la responsabilité de l’employeur par un salarié ayant été infecté par le Covid-19 sur le lieu de travail sera difficile.

Une fois les risques identifiés et inscrits au DUER, il convient de mettre en place des mesures de nature à prévenir ces risques.

2. La mise en place de mesures de prévention

Le Covid-19 est un virus particulièrement redoutable car il allie une contagiosité forte (à défaut de distanciation sociale, un malade contamine en moyenne 3 à 4 autres personnes) à une possibilité de transmission par une personne asymptomatique (porteur du virus qui n’a pas encore, voire pas du tout développé de symptômes). Sans la mise en place de fortes mesures de prévention permettant de limiter la diffusion du virus, le risque qu’un salarié porteur du Covid-19 en contamine d’autres sur le lieu de travail -sans même s’en apercevoir- est élevé. Si ce risque se réalise, l’employeur s’expose à une mise en quarantaine des salariés et donc à la fermeture temporaire d’un service entier, ce qui a été annoncé par le Premier Ministre Edouard Philippe le 28 avril 2020 (même si aucun texte n’a encore été adopté à ce sujet).

Le temps et l’espace de travail doivent donc être gérés de manière à limiter la circulation du virus dans l’entreprise. On peut citer les mesures suivantes :

• Baliser la circulation dans les locaux par la mise en place de marqueurs au sol et sur les murs afin que la distance minimale d’un mètre ou d’un mètre cinquante soit facilement respectée, imposer un sens de circulation (le risque de contamination est beaucoup plus élevé si deux personnes se font face que si l’une marche dans le dos de l’autre), réguler les flux à l’entrée du bâtiment ;

• Désinfecter régulièrement les locaux et les postes de travail, en particulier les poignées de portes, boutons d’ascenseur et le matériel qui est susceptible d’être manipulé par plusieurs salariés ;

• Réduire le contact des salariés avec les surfaces inertes sur lesquelles le virus semble pouvoir survivre un certain temps (boutons à presser, claviers de porte d’accès, portiques d’accès à l’entreprise etc.)

• Fournir du gel hydroalcoolique, des équipements de protection individuelle (masques) ;

• Faire réaliser des prises de température à l’entrée des locaux ;

• Filtrer les entrées et les sorties des clients ;

• Réaménager les open-space qui sont des zones particulièrement à risque (installation de cloisons de verre ou de plexiglas, organisation d’une rotation des équipes afin d’accroitre les distances entre les travailleurs présents) ;

• Identifier les zones les plus à risque (ascenseurs, machines à cafés, distributeurs automatiques, salles de pause, cantines…) et prévoir un nombre maximum de salariés présents simultanément sur une même surface ;

• Gérer la durée et les moments de présence des salariés sur le lieu de travail : adaptation des horaires de travail pour permettre d’éviter la présence des salariés dans les transports publics lors des heures de pointe (5) , alterner entre travail physique et télétravail afin de minimiser les contacts entre les salariés, voire poursuivre le télétravail total (ce qui a été préconisé par le Premier Ministre Edouard Philippe lors de son discours du 28 avril 2020) ;

• Recourir aux réunions par visio-conférence. A ce sujet, il est rappelé que toutes les réunions du CSE peuvent se tenir par visioconférence jusqu’au 24 mai 2020 (6) . Prévoir des réunions en présentiel seulement lorsqu’elles sont indispensables et en limiter le nombre de participants (afin que ceux-ci soient séparés d’au moins 1,50 m) ;

• Mettre en place des actions de formation /sensibilisation des salariés au risque Covid-19 (puisque l’information et la formation sont expressément mentionnées à l’article L.4121-1 du Code du travail dans la liste des mesures de santé et sécurité).

Pour identifier les risques propres à son secteur d’activité et mettre en œuvre les mesures de protection adaptées, l’employeur peut s’inspirer des fiches conseils, publiées par le Ministère du Travail le 20 avril 2020 et accessibles au lien suivant.
Chaque fiche détaille les gestes barrières et de distanciation sociale propres au secteur d’activité concerné. Ces fiches conseils sont le fruit d’un travail piloté par l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (INTEFP).

3. Contraindre les salariés au respect des règles de sécurité : note de service ou mise à jour du règlement intérieur

L’application des mesures barrières pourra être difficile pour des salariés heureux de se retrouver après deux mois de confinement. Pourtant, les collaborateurs doivent être sensibilisés au fait que le non-respect des règles de sécurité prévues par l’employeur les met en danger eux-mêmes mais aussi leurs collègues. C’est pourquoi il est recommandé de compléter l’actualisation du DUER par une mise à jour du règlement intérieur ou la rédaction d’une note de service (7) afin de pouvoir, le cas échéant, sanctionner les salariés trop insouciants.

En effet, si les consignes de sécurité (gestes barrières, port du masque, règles de distanciation sociale, mesures d’hygiène etc.) sont transposées dans le règlement intérieur ou une note de service, elles deviennent des obligations pour les salariés et leur non-respect est passible de sanctions disciplinaires. Même si l’employeur n’a guère la tête à la sanction en ce moment, la protection sanitaire de l’ensemble des salariés de l’entreprise doit prévaloir sur la bonne entente avec quelques salariés sceptiques face au danger.

A cette occasion, il est observé que, dans la définition même du règlement intérieur, le Code du travail insiste sur les thèmes de la santé et de la sécurité (8) .

Pour qu’une nouvelle version du règlement intérieur ou une note de service soit opposable aux salariés, il convient de respecter la procédure prévue à l’article article L.1321-4, c’est-à-dire de recueillir l’avis du CSE, transmettre le document à l’inspection du travail et accomplir les formalités de dépôt et de publicité (9) . La consultation du CSE est une simple formalité puisque, dès lors que le règlement intérieur est un acte unilatéral de l’employeur, l’avis du CSE est purement consultatif, c’est à dire que l’employeur n’est pas lié par l’avis rendu et peut passer outre.

Même si le Code du travail prévoit que de nouvelles règles disciplinaires doivent, en principe, entrer en vigueur au moins un mois après l’accomplissement des formalités de dépôt et de publicité, une procédure d’exception permettant une application immédiate des nouvelles règles est prévue pour les notes de service à l’article L.1321-5 alinéa 2 : « Lorsque l’urgence le justifie, les obligations relatives à la santé et à la sécurité peuvent recevoir application immédiate. Dans ce cas, ces prescriptions sont immédiatement et simultanément communiquées au secrétaire du comité social et économique ainsi qu’à l’inspection du travail. »
Compte-tenu du risque sanitaire exceptionnel, il apparaît évident que l’employeur peut se prévaloir de cette disposition et prévoir une application immédiate des nouvelles consignes de sécurité. Décaler leur application d’un mois dans le temps aurait un effet contre-productif dans une période inédite où l’obligation de sécurité est accrue. En cas d’application immédiate, il conviendrait de régulariser la situation rapidement, le plus urgent étant de porter les nouvelles règles à la connaissance des salariés (ex : courriel groupé ou affichage) et de lancer la consultation du CSE.

Cette mise à jour du règlement intérieur ou cette rédaction d’une note de service a un grand intérêt puisque, si une épidémie de Covid-19 est constatée au sein de l’entreprise, le fait que certains travailleurs aient été sanctionnés sur un terrain disciplinaire pour violation des consignes de sécurité jouera en faveur de l’employeur si les salariés malades tentent d’engager la responsabilité de l’entreprise pour manquement à son obligation de sécurité.

(1) L’article L.4161-1 du Code du travail déroule une liste de facteurs de risques professionnels
(2) En 2002, à l’occasion des arrêts amiante, la chambre sociale avait qualifié l’obligation de sécurité d’obligation de résultat. En 2015, elle est venue infléchir sa jurisprudence (arrêt Air France du 25 novembre 2015). La position a évolué d’une responsabilité systématique en cas de dommage à un devoir de prévention.
Pour davantage de détails sur l’évolution jurisprudentielle de l’obligation de sécurité sur les 20 dernières années, voir l’article
(3) Circulaire DRT ° 6 du 18 avril 2002 prise pour l’application du décret no 2001-1016 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, prévu par l’article L. 230-2 du code du travail et modifiant le code du travail
(4) Portée à 3.000 euros en cas de récidive
(5) Même si l’employeur ne saurait être tenu responsable de l’infection d’un salarié contractée dans les transports public, il pourrait l’être si le contact de ce salarié avec les autres a généré un taux élevé de contamination au Covid-19 dans l’entreprise.
(6) Article 6 de l’ordonnance n° 2020-389 du 1er avril 2020 portant mesures d’urgence relatives aux instances représentatives du personnel
(7) Article L.1321-5 : « Les notes de service ou tout autre document comportant des obligations générales et permanentes dans les matières mentionnées aux articles L. 1321-1 et L. 1321-2 sont, lorsqu’il existe un règlement intérieur, considérées comme des adjonctions à celui-ci. »
(8) Article L.1321-1 : « Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur fixe exclusivement :
1° Les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement
, notamment les instructions prévues à l’article L. 4122-1 ;
2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises ;
3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur. »

(9) Article R.1321-1 : « Le règlement intérieur est porté, par tout moyen, à la connaissance des personnes ayant accès aux lieux de travail ou aux locaux où se fait l’embauche. »
Article : R.1321-2 : « Le règlement intérieur est déposé, en application du deuxième alinéa de l’article L. 1321-4, au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement. »

Rédigé par

Patrick Berjaud ASSOCIÉ

Thomas Yturbe Avocat

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