Les marchés passés dans le secteur de la Défense nationale ont toujours occupé une place à part dans le droit de la commande public. D’abord exclus de toute procédure d’attribution ils se sont petit à petit ouverts au jeu de la concurrence sous l’impulsion de Bruxelles, la France ayant eu cette particularité de se doter d’un décret spécifique pour l’attribution et l’exécution des marchés passés dans le secteur de la défense (décret n° 2004-16 du 11 mars 2004) bien avant que l’Union européenne adopte des règles spécifiques au secteur, avec la directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009.
On ne s’attendait guère, dans ce contexte, à ce coup d’arrêt venu paradoxalement de Bruxelles et opportunément mis en œuvre par l’Etat, dans le cadre de la transposition de la directive 2009/81 par la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité.
Le législateur, profitant d’une alternative ouverte par l’article 56 de cette directive (pouvoir d’annulation de la procédure versus pouvoir de correction du manquement), a choisi la voie la moins protectrice des intérêts des requérants.
L’intérêt du référé contractuel, pour sa part, se réduit comme une peau de chagrin par les effets cumulés :
– de la lecture restrictive du Conseil d’Etat de la recevabilité des recours (CE 19 janvier 2011, Grand port maritime du Havre : seuls sont recevables les moyens tirés d’une méconnaissance des obligations de publicité – auxquelles la plupart des marchés de défense sont légalement soustraits –, du délai de standstill ou de l’obligation de suspension du marché en cas de référé précontractuel)
– de la loi du 22 juin 2011 qui ne permet pas à ce juge de prononcer la nullité du marché si elle « menace sérieusement l’existence même d’un programme de défense ou de sécurité plus large qui est essentiel pour les intérêts de sécurité de l’Etat ».
La loi du 22 juin 2011 procédant par une modification de l’ordonnance 2005-649 aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, ses dispositions restrictives ne paraissaient devoir s’appliquer, en pratique, qu’à l’Economat des armées, établissement public industriel et commercial non soumis au code des marchés publics. Cependant, les dispositions modifiées du CJA ont vocation à s’appliquer à tous les « contrats passés dans le domaine de la défense ou de la sécurité », dont la définition figure curieusement dans cette ordonnance n° 2005-649, qu’ils soient passés par les personnes soumises au code des marchés publics ou pas.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : si les exemples de recours au titre des articles L. 551-6 et L. 551-7 du CJA sont rares, ils montrent cependant que le juge n’hésite pas à suspendre la procédure d’attribution et à enjoindre, sous astreinte, à l’entité adjudicatrice fautive de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence (Voir CE, 30 juin 2004 SNCF, TA Paris ord. 29 octobre 2007, Soc. Synergie), ce qui conduit à relativiser la portée de cette réforme du contentieux de l’attribution des marchés de défense.
Pas sur que le Conseil constitutionnel, non saisi a priori, y trouve à redire s’il était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité.