Dans un arrêt Société Espace Habitat Construction (C.E. 1er octobre 2013, n° 349099, publié au Rec.), le Conseil d’Etat apporte une précision sur l’action en reprise des relations contractuelles que l’arrêt « Commune de Béziers II » (C.E. Section, 21 mars 2011, GAJA, 18e édition, Dalloz 2013, n° 116) a ouverte aux cocontractants de l’administration dont le contrat est unilatéralement résilié.
Société Espace Habitat Construction (C.E. 1er octobre 2013, n° 349099 )
Rompant avec la jurisprudence qui, à l’exception de certains types de contrats dont la particularité justifiait une solution différente (concessions de service public, notamment), n’admettait pas la recevabilité des conclusions tendant à l’annulation d’une décision unilatérale de résiliation d’un contrat administratif, le Conseil d’Etat estime désormais que le juge du contrat, saisi d’une telle décision, peut, après avoir examiné la régularité ou le bien-fondé de la décision résiliant un contrat, ordonner la reprise des relations contractuelles.
Il ne pourra le faire toutefois que dans le cas où la mesure de résiliation est irrégulière ou non fondée, après avoir vérifié si la demande n’est pas sans objet et apprécié plusieurs données : la gravité des vices dont est entachée la mesure de résiliation, les motifs de décision de résiliation, le cas échéant, les manquements du titulaire à ses obligations contractuelles et, eu égard à la nature du contrat en cause, les droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.
Le juge n’est donc pas tenu d’accueillir les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles. Il dispose, au contraire, d’une marge d’appréciation en la matière puisqu’en tout état de cause, la jurisprudence « Commune de Béziers II » ne lui donne que la possibilité d’ordonner cette reprise, sans l’y obliger.
L’arrêt commenté restreint la liberté du juge qui est tenu de rejeter ces conclusions, certes dans une hypothèse particulière, celle où s’il était saisi d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat sur le fondement de l’arrêt « Commune de Béziers I » (CE Assemble 28 décembre 2009) , GAJA, 18e édition, Dalloz 2013, n° 116), il serait conduit à prononcer la résiliation du contrat ou son annulation. Sa décision n’aura toutefois rien d’automatique, compte tenu de la condition que pose la jurisprudence « Béziers I ». L’annulation ou la résiliation ne peuvent être, en effet, prononcées qu’en raison du caractère illicite du contenu du contrat (soit de objet, soit de ces clauses) ou d’un vice tenant notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui doit être d’une « particulière gravité ». En outre, quand bien même ces conditions sont réunies, encore faut-il que le juge du contrat ait vérifié, avant de prononcer la résiliation ou l’annulation du contrat, que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
La solution est, finalement, assez naturelle. Il n’y aurait guère de sens, du point de vue de la stabilité des relations contractuelles, à ordonner la reprise des relations contractuelles à des parties qui, à tout moment, pourrait saisir le juge du contrat de conclusions tendant à la résiliation ou à l’annulation du contrat ou à ce que le contrat soit écarté.
D’une certaine manière, cet arrêt donne un élément de réponse à la question que la doctrine posait de savoir si l’illicéité d’un contrat pouvait constituer un motif justifiant la résiliation unilatérale du contrat (cf. Laurent Richer, Droit des contrats administratifs, LJDJ, n° 357). La réponse est affirmative mais dans des conditions strictes : la logique pourrait être de n’admettre que la résiliation ne pourrait être décidée par l’administration que dans le cas où le juge du contrat pourrait, conformément aux principes dégagés dans l’arrêt « Béziers I », résilier ou annuler le contrat.
Les cas dans lesquels le juge est conduit à annuler ou résilier un contrat étant, compte tenu des standard posés par le Conseil d’Etat, rares, ceux dans lesquels il sera tenu de rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles, devraient demeurer relativement exceptionnels.
Le juge applique au cas d’espèce le principe qu’il dégage. Il rejette les conclusions du titulaire du contrat, compte tenu de l’illicéité dont il était entaché touchant, d’une part, à son objet, à savoir la concession par la commune d’un droit réel sur un terrain qui, par le jeu de la théorie de la domanialité publique virtuelle alors applicable (cf. Anna Stefanini-Coste et Marc de Monsembernard, Domanialité publique : quand le virtuel demeure réel, constituait une dépendance du domaine public et, d’autre part, à l’une de ses clauses par laquelle la commune renonçait, pendant toute la durée du remboursement des prêts par le cocontractant, à l’exercice de son pouvoir de résiliation unilatérale pour un motif d’intérêt général (C.E. 6 mai 1985, Association Eurolat Crédit foncier de France Rec. 141).