La solution de l’arrêt du Conseil d’Etat du 29 octobre 2012 EURL Photo Josse aurait pu être radicalement différente, s’il avait été fait application des dispositions encore méconnues au contentieux des articles 10 et s. de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (la « Loi de 1978 ») consacrant le droit de réutilisation des informations publiques, y compris culturelles. La portée générale de ce droit place l’administration en situation de compétence liée lorsqu’elle est saisie d’une demande de réutilisation.
Conseil d’Etat, 29 octobre 2012 (n° 341173, EURL Photo Josse)
Les articles 10 et s. de la Loi de 1978 ont été introduits par l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques qui, elle-même, transpose la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. Le droit de réutilisation des informations publiques est de même nature que le droit de communication des documents administratifs : l’administration ne peut refuser sa mise en œuvre que sur le fondement des motifs prévus par la loi (notamment, qualité des documents ne permettant pas leur réutilisation ou sanction prononcée par la commission d’accès aux documents administratifs – CADA – à l’encontre du demandeur).
La question s’est posée de l’application du droit de réutilisation aux informations publiques détenues par les établissements publics culturels, l’article 11 de la Loi de 1978 leur permettant, par dérogation, de fixer leurs propres « conditions dans lesquelles les informations [qu’ils produisent ou reçoivent] peuvent être réutilisées ». Elle a reçu une réponse sans ambiguïté de la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 4 juillet 2012, Département du Cantal c/ SA NotreFamille.com, n° 11LY02325-11LY02326, v. KPratique « L’open data innerve sans restriction les archives publiques ») et de la CADA à propos des documents détenus par les services d’archives publics qui ont la qualité d’ « établissements culturels ».
Selon la cour, « les informations publiques communicables de plein droit, figurant dans les documents détenus par les services d’archives publics, qui constituent des services culturels au sens des dispositions de l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978, relèvent de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par cette loi ». Dès lors, souligne la CADA, « les établissements culturels ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’apprécier l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation ».
Pour faire valoir le droit de réutilisation, encore faut-il que les biens publics considérés puissent être qualifiés d’informations publiques. La définition en est donnée à l’article 10 de la Loi de 1978 : il s’agit de toutes les informations « figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er [de la Loi de 1978] quel que soit le support », à l’exception des informations contenues dans les documents :
« a) dont la communication ne constitue pas un droit en application du chapitre Ier ou d’autres dispositions législatives, sauf si ces informations font l’objet d’une diffusion publique ;
b) ou produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er dans l’exercice d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial ;
c) ou sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle ».
La première hypothèse ne devrait pas s’appliquer aux collections des musées puisqu’elles font l’objet d’une « diffusion publique » ; la deuxième n’est pas opérante, les musées n’étant pas des établissements publics à caractère industriel et commercial ; la troisième devra, elle, faire, l’objet d’une appréciation au cas par cas.
La définition très large du terme « document », donnée par la directive 2003/98 (« tout contenu quel que soit son support (écrit sur support papier ou stocké sous forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel) » ; « toute partie de ce contenu ») permettrait d’inclure un grand nombre d’œuvres conservées par les musées (cartes anciennes, lithographies, peintures et reproductions numérisées, sur des fonds publics, des collections muséales), sous réserve des droits de propriété intellectuelle détenus par des tiers à l’administration.
Placer le contentieux sous les auspices du droit de la réutilisation des informations publiques aurait pu conduire à une solution radicalement inverse, le juge administratif (à l’exception du Conseil d’Etat qui ne s’est pas encore prononcé), à l’instar de la CADA, ayant considéré que l’administration saisie d’une demande de réutilisation était en situation de compétence liée.
Compétence liée de l’administration lorsque les collections du musée sont qualifiées d’informations publiques ou pouvoir discrétionnaire de l’autorité gestionnaire du domaine lorsque ces mêmes collections reçoivent la qualification de dépendances du domaine public mobilier, voilà deux régimes différents pour une même réalité, l’utilisation privative des biens publics. Sous cet angle, la finalité poursuivie par l’opérateur économique qui retire un bénéfice de l’exploitation du bien public ne devrait-elle pas conduire à une attractivité du régime domanial sur le régime de la réutilisation, notamment concernant les principes de tarification ?