Le 29 juillet 2019, la Cour de justice de l’Union Européenne (la « CJUE »), s’est prononcée sur l’interprétation des exceptions relatives (i) aux comptes rendu d’évènements d’actualité et (ii) aux citations, listées par la Directive 2001/29/E du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information(1) (la « Directive »).
En l’espèce, un ancien membre du Parlement fédéral allemand (l’ « Auteur »), avait rendu disponible son manuscrit sur son site internet. Une société (le « Défendeur ») a publié les versions originales de ce manuscrit sur un portail d’informations en ligne au moyen de liens hypertextes permettant ainsi aux lecteurs de les télécharger.
Estimant qu’une telle mise à disposition portait atteinte à ses droits, l’Auteur a saisi les juridictions allemandes pour en contester la licéité.
C’est dans ce contexte que la Cour fédérale de justice allemande a interrogé la CJUE sur la portée des dispositions invoquées par le Défendeur (1). La CJUE rappelant le principe d’interprétation stricte des exceptions au droit d’auteur, et retenant l’applicabilité des exceptions de compte rendu d’évènements d’actualité et de citation, a considéré au cas particulier que l’Auteur ne pouvait pas s’opposer à la publication de son manuscrit (2).
1. Rappel des exceptions en cause et des questions préjudicielles
Le Défendeur invoquait l’applicabilité des deux exceptions relatives (i) aux comptes rendus d’évènements d’actualité et (ii) aux citations, exceptions énumérées par la Directive et qui ont fait l’objet d’une transposition tant en droit allemand qu’en droit français, dans des termes différents.
• La transposition des exceptions en droit allemand
La loi allemande relative au droit d’auteur et aux droits voisins du 9 septembre 1965 a transposé la Directive aux articles 50 et 51.
L’article 50 dispose d’une part :
– « Pour rendre compte d’événements d’actualité par la radiodiffusion ou des moyens techniques similaires, dans des journaux, des périodiques et d’autres publications ou sur tout autre support, qui relatent principalement les événements du jour, ainsi que dans un film, il est licite de reproduire, de distribuer et de communiquer au public, dans la mesure justifiée par le but à atteindre, les œuvres qui peuvent être vues et entendues au cours des événements rapportés. »
La transposition effectuée en droit allemand semble donc plus large que celle effectuée en droit français à l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle (2) qui vise uniquement les œuvres d’art graphiques, plastiques ou architecturales.
L’article 51 dispose d’autre part :
– « La reproduction, la distribution et la communication au public, à des fins de citation, d’une œuvre déjà publiée sont licites dans la mesure où l’ampleur de l’utilisation est justifiée par le but spécifique à atteindre. Il est notamment licite :
1. d’intégrer des œuvres individuelles, après leur publication, dans un ouvrage scientifique autonome en vue d’expliciter son contenu ;
2. de citer des passages d’une œuvre, après sa publication, dans une œuvre littéraire autonome ;
3. de citer, dans une œuvre musicale autonome, des passages ponctuels d’une œuvre musicale déjà publiée. »
• Les questions préjudicielles posées
Afin de connaître la portée des deux exceptions précitées, la Cour fédérale de justice allemande a notamment interrogé la CJUE sur les quatre (4) questions suivantes :
– Les droits fondamentaux à la liberté d’information ou à la liberté de la presse peuvent-ils justifier des exceptions ou des limitations au droit exclusif des auteurs à la reproduction et à la communication au public, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres en dehors des exceptions ou des limitations prévues par la Directive ?
– Doit-on considérer que la mise à la disposition du public d’œuvres protégées au titre du droit d’auteur sur le portail Internet d’une entreprise de presse ne constitue pas d’emblée un compte rendu d’événements d’actualité dispensé d’autorisation, dès lors que l’entreprise de presse avait la possibilité de solliciter l’accord de l’auteur avant la mise à disposition du public et que l’on pouvait raisonnablement l’exiger d’elle ?
– Une publication à des fins de citations fait-elle défaut si le texte des œuvres n’est pas inséré dans le nouveau texte de manière indissociable, mais sont mis à la disposition du public sur Internet, au moyen de liens hypertextes, en tant que fichiers consultables de manière autonome à côté du nouveau texte ?
– Pour déterminer à partir de quel moment une œuvre a déjà été mise de manière licite à la disposition du public, convient-il de se baser sur le point de savoir si cette œuvre, telle qu’elle se présente de manière concrète, a déjà été publiée auparavant avec l’accord de l’auteur ?
2. Précisions de la CJUE sur la portée des exceptions invoquées
Les libertés d’information et de presse ne justifient pas de dérogations supplémentaires aux droits d’auteur. La CJUE rappelle, dans sa décision, que les exceptions au droit d’auteur sont d’interprétation stricte, et par conséquent la liberté d’information et la liberté de la presse, consacrées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « ne sont pas susceptibles de justifier, en dehors des exceptions et des limitations prévues à cet égard par la directive, une dérogation aux droits exclusifs de reproduction et de communication au public de l’auteur ».
L’impossibilité d’ajouter une condition supplémentaire dans la mise en œuvre d’une exception. A ce titre, la CUJE relève que dans le cadre de la mise en œuvre de l’exception permettant l’utilisation d’œuvres protégées afin de rendre compte d’événements d’actualité « les Etats membres ne peuvent pas subordonner celle-ci à l’exigence qu’il ait été préalablement demandé à l’auteur de donner son consentement ».
L’exception de citation peut résulter d’un lien hypertexte. En effet, en l’absence de toute définition du terme « citation » au sein de la Directive, la CJUE constate que la signification et la portée de ce terme doit être établie notamment en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie. Or, la CJUE constate que :
– la Directive porte spécifiquement sur la protection juridique du droit d’auteur dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l’information
– les liens hypertextes contribuent au bon fonctionnement d’Internet, lequel revêt une importance particulière pour la liberté d’expression et d’information.
Elle en conclut que la notion de « citation » couvre le renvoi, au moyen d’un lien hypertexte, à un fichier consultable de manière autonome.
L’exception de citation doit porter sur une œuvre qui a été licitement mise à disposition du public. A ce titre, la CJUE précise qu’une mise à disposition licite se présente de manière concrète, lorsque l’œuvre « a été préalablement rendue accessible au public avec l’autorisation du titulaire du droit ou en vertu d’une licence non volontaire ou encore en vertu d’une autorisation légale ».
L’interprétation des dispositions du droit allemand sont transposables aux exceptions transposées en droit français. Dans une situation similaire, une entreprise de presse française pourrait toutefois invoquer uniquement l’exception de courte citation, l’exception relative aux évènements d’actualité étant réservée, en France, aux œuvres d’art graphiques, plastiques ou architecturales.
(1) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, J.O.C.E, 22 juin 2001, L 167/10 ;
(2) Les deux exceptions invoquées par le Défendeur ont été transposées à l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle par la loi n°2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI. Cet article dispose notamment :
« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
[…]
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ;
[…]
9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur. »
Rédigé par
Laurent Badiane ASSOCIÉ
laurent.badiane@kleinwenner.eu
+33 (0)1 44 95 20 00
Lisa Bataille AVOCAT
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