Commentaire Arrêts du Conseil d’Etat du 19 juillet 2023, Soc. Société Seateam aviation, n° 465308 et Société Prolarge, n° 465309.
Le Conseil d’Etat a procédé à une extension du périmètre d’application de la décision du Conseil d’Etat Czabaj (CE Ass., 13 juillet 2016, n° 387763) par deux décisions du 19 juillet 2023 (CE, 19 juillet 2023, Société Seateam aviation, n° 465308 et CE, 19 juillet 2023, Société Prolarge, n° 465309) aux concurrents évincés d’un marché public contestant la validité de ce dernier.
Il est rappelé qu’aux termes de la jurisprudence Czabaj, le principe qui avait été dégagé par le Conseil d’Etat était qu’au nom du principe de sécurité juridique, lorsque le délai de deux mois posé par l’article R.421-1 du code de justice administrative n’était pas opposable faute de preuve du respect des obligations d’information en matière de voies et délais de recours, le destinataire d’une décision ne pouvait la contester au-delà d’un délai raisonnable, fixé à un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifié ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.
Au préalable, rappelons, comme le fait le rapporteur public Nicolas Labrune que depuis 2016, le périmètre de la jurisprudence Czabaj n’a cessé de s’étendre.
En effet, le rapporteur public dresse l’historique de cette extension dans ses conclusions et il apparaît que cette jurisprudence concerne désormais le contentieux des pensions, celui de l’assiette et du recouvrement de l’impôt (CE, Section, 31 mars 2017, Ministre des finances et des comptes publics c/ M. A…, n° 389842, p. 105), celui des décisions expresses à objet purement pécuniaire (CE, 9 mars 2018, Communauté de communes du pays roussillonnais, n° 405355), le contentieux des titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, n° 401386). L’extension de cette jurisprudence ne s’était par ailleurs pas limitée à aux décisions individuelles expresses. Elle a été étendue aux décisions implicites, qu’elles relèvent de l’excès de pouvoir (CE, 18 mars 2019, M. J…, n° 417270) ou du plein contentieux (CE, 3 juin 2020, Mme E…, n° 428222), mais elle vaut aussi pour les recours administratifs préalables obligatoires (Section, Ministre des finances et des comptes publics c/ M. A…, précitée).
Dans la décision Société Seteam Aviation, le Conseil d’Etat rappelle les principes susmentionnés et considère qu’en l’espèce, la conclusion du marché public contesté avait fait l’objet d’un avis d’attribution au BOAMP depuis plus d’un an et la contestation n’était donc plus recevable en application de la jurisprudence Czabaj aux contestations en validité des contrats par les concurrents évincés :
« D’autre part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que la validité d’un contrat administratif puisse être contestée indéfiniment par les tiers au contrat. Dans le cas où, faute que tout ou partie des mesures de publicité appropriées mentionnées au point précédent aient été accomplies, le délai de recours contentieux de deux mois n’a pas commencé à courir, le recours en contestation de la validité du contrat ne peut être présenté au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de son objet et des parties contractantes. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable. 4. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, après avoir constaté par des motifs non contestés que le délai de deux mois n’était pas opposable au recours en contestation de la validité du contrat formé par la société Seateam aviation, concurrente évincée, devant le tribunal administratif de Toulon le 15 août 2015 en l’absence de publicité suffisante des modalités de consultation du contrat, que ce recours était néanmoins tardif pour avoir été introduit au-delà d’un délai d’un an à compter de la publication au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le 9 octobre 2010, d’un avis d’attribution du contrat qui indiquait sa conclusion, c’est-à-dire son objet et l’identité des parties contractantes, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit ».
Le même raisonnement est adopté dans l’affaire Société Prolarge.
Le rapporteur public, dans ses conclusions, était favorable à cette solution et demandait à la formation de jugement de procéder à cette extension de la jurisprudence Czabaj.
En effet, selon lui, le fait d’appliquer pour la première fois la jurisprudence Czabaj en dehors des actes unilatéraux ne posait pas de difficulté dans la mesure où en l’espèce ce qui est en cause est de permettre le contrôle de légalité de l’action administrative : « il nous semble que, du point de vue des tiers, la différence entre contrat et acte unilatéral n’est pas aussi déterminante qu’elle a pu l’être dans le passé : le recours « Tropic/Tarn-et-Garonne » a pour but de permettre un contrôle de la légalité d’un contrat comme le recours pour excès de pouvoir a pour but de permettre le contrôle de la légalité d’un acte unilatéral. Avec la rénovation du contentieux contractuel que vous avez accomplie ces quinze dernières années, les recours dont le juge administratif peut être saisi permettent, tous autant qu’ils sont, le contrôle de l’action administrative, quelle que soit la forme que prend celle-ci ».
Par ailleurs, le rapporteur public souligne que le principe de sécurité juridique doit aussi bien protéger le contrat que l’acte unilatéral « eu égard à la place éminente que revêt ce principe en matière contractuelle » et rappelle « l’objectif de stabilité des relations contractuelles » que vous avez consacré dans votre décision « Béziers I » (CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, p. 509) et qui irrigue l’ensemble du droit des contrats administratifs ».
Enfin, il est apparu judicieux au rapporteur public, au regard de la nécessaire prévalence du principe de sécurité juridique, d’appliquer la jurisprudence Czabaj à un cas de recours non régi par les articles R. 421-1 et R. 421-5 du code de justice administrative qui prévoient que le délai de recours est de deux mois et qu’il n’est opposable qu’à condition d’avoir été mentionné, avec les voies de recours, dans la notification de la décision attaquée.
En effet, comme le rappelle le rapporteur public, le régime du délai du recours en contestation de la validité du contrat est défini par les décisions « Tropic » et « Tarn-et-Garonne ». Ainsi, le recours doit être exercé « dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi » et comme le relève le rapporteur public : « L’opposabilité de ce délai n’est donc pas subordonnée à une information sur les voies et délais de recours. Nous relevons d’ailleurs que les avis publiés au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) ne comportent généralement pas de mention des voies et délais de recours, alors même qu’ils font bien courir le délai, vous le jugez constamment ».
Ainsi, cette nouvelle application de la jurisprudence Czabj contribue à faire prévaloir le principe de sécurité juridique mais contraindra les candidats évincés à une veille juridique plus contraignante.