Afin d’aligner les intérêts de ses dirigeants et salariés sur ceux de ses actionnaires, une société peut décider de mettre en place des « management packages ». Souvent mis en place dans le cadre des opérations de rachat avec effet de levier (LBO – Leveraged Buy-Out), ces dispositifs incitent les managers à investir au côté du fonds d’investissement afin d’être associés à la création de valeur de la société.
Les management packages peuvent revêtir plusieurs formes dont notamment les bons de souscription d’actions (BSA) ou les contrats d’option d’achat d’actions (COA).
Jusqu’au 13 juillet dernier, la jurisprudence considérait que pour préserver l’imposition des gains en plus-values, il était nécessaire que les management packages aient été souscrits ou acquis pour leur valeur de marché, que le manager ait réalisé un véritable investissement soumis à un réel risque de perte.
Alors même que le risque de requalification des management package en salaire avait diminué lorsque les préconisation mentionnées ci-dessus étaient respectées, le Conseil d’Etat avait décidé le 13 juillet 2021[1] en assemblée plénière (voir notre Newsletter du 22 juillet) de préciser les règles applicables aux gains tirés de ces dispositifs dans trois arrêts.
Pour la première fois depuis le 13 juillet, le Conseil d’Etat applique sa grille de lecture dans un nouvel arrêt du 17 novembre 2021[2].
L’objectif de cet article est de faire un point pratique sur les points importants qu’il pourrait être intéressant d’anticiper afin de sécuriser au mieux les management packages.
[1] CE, 13/07/2021, n° 435452 ; CE, 13/07/2021, n° 437498 ; CE, 13/07/2021, n° 428506
[2] CE, 17/11/2021,n° 439609
- Dans quelles circonstances un gain de cession tiré d’un management package est-il susceptible d’être requalifié en salaire ?
Se prononçant sur les gains tirés de l’attribution de BSA, d’options d’achat d’actions et de la souscription d’actions, le Conseil d’Etat a estimé que ces gains doivent être imposés comme des traitements et salaires, et non comme des plus-values de cession de valeurs mobilières, lorsque ces gains trouvent essentiellement leur source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié ou qu’ils sont la contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant de l’intéressé.
Cette assimilation du gain à un complément de salaire a vocation à s’appliquer aux trois gains pouvant être générés au cours de la vie d’un BSA ou d’une option d’achat d’actions : gain d’acquisition ou de souscription, gain de levée d’option ou d’exercice et gain de cession.
S’agissant particulièrement du gain de cession, il est imposable dans la catégorie des traitements et salaires lorsque, eu égard à ses conditions de réalisation, ce gain doit essentiellement être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant.
Conformément aux conclusions du rapporteur public dans les affaires du 13 juillet 2021, il en sera ainsi lorsqu’il ressort des termes des documents juridiques (pacte d’actionnaires, contrat de souscription, convention d’émission…) et des conditions dans lesquelles la cession a été organisée et est intervenue que l’intéressé n’agit à aucun moment comme un investisseur gérant son patrimoine et décidant du sort de son capital mais apparaît uniquement dans le montage en tant que dirigeant dont le gain de cession a pour objet la rétribution des services accomplis à son poste de direction.
Au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat, la présence des éléments suivants est de nature à entrainer la requalification de la plus-value en traitements et salaires :
- Incessibilité des titres jusqu’au dénouement de l’opération de LBO ;
- Absence de marge de manœuvre du bénéficiaire du management package (modalités d’exercice des fonctions déterminées par le pacte d’actionnaire, obligations de l’intéressé envers la société déterminées par le pacte d’actionnaire…) ;
- Durée d’engagement imposée au manager ;
- Obligation de loyauté ou d’exclusivité du bénéficiaire du management package ;
- Engagement de non-concurrence du bénéficiaire du management package ;
- Rétrocession par les investisseurs au manager dans le cadre d’un LBO d’une quote-part de la super plus-value qu’il a permis aux investisseurs de réaliser ;
- Clauses de leaver ;
- Corrélation entre le bénéfice du dispositif de management package et les performances de la société ;
- Droit de préemption par le nouvel acquéreur de la société sur les titres acquis par l’intéressé ;
- Prix d’acquisition inférieur à la valeur, garantissant la réalisation d’une plus-value lors de leur cession.
- Quelles sont les conséquences de la requalification du gain de cession en salaire ?
En principe, le gain de cession bénéficie du régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers :
- Prélèvement forfaitaire unique au taux global de 30% se décomposant en une imposition à l’impôt sur le revenu à un taux forfaitaire de 12,8 % et en une imposition aux prélèvements sociaux au taux global de 17,2 % ;
- Ou option pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu pour les revenus constatés à compter du 1er janvier
Lorsque le gain de cession est requalifié en revenu acquis en contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant de l’intéressé, le gain est imposable au barème de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI.
Le gain est automatiquement soumis au barème progressif à un taux marginal d’imposition qui sera supérieur au taux du prélèvement forfaitaire unique (12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu).
En outre, en cas d’imposition dans la catégorie des traitements et salaires, les abattements applicables en matière de plus-value (abattement pour départ à la retraite, abattement pour durée de détention) ne sont plus applicables.
Enfin, en cas de requalification en salaire, l’administration pourrait appliquer des pénalités (notamment la pénalité de 40% pour manquement délibéré) et un redressement par l’URSSAF pourrait être envisagé, d’autant qu’avec ces nouvelles décisions, le Conseil d’Etat rapproche sa jurisprudence de celle de la Cour de Cassation en matière sociale qui depuis un arrêt du 4 avril 2019[1] soumet l’avantage aux cotisations sociale. En effet, cette dernière considérait déjà que le simple fait de réserver l’acquisition de BSA à des managers suffisait pour caractériser la nature salariale des gains, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un risque de perte en capital pour le manager, un avantage à l’entrée par un prix de souscription préférentiel ou encore un avantage à la sortie grâce à un prix de cession préférentiel.
[1] Groupe Lucien Barrière, 2e Chambre civile, n° 17-24.470
- Quels sont les éléments qui pourraient permettre d’éviter la requalification en salaire du gain de cession ?
Il convient de noter qu’au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat, ne suffisent pas à requalifier la plus-value en en traitements et salaires :
- Le caractère préférentiel du prix d’acquisition ou de souscription ;
- La garantie du manager de pouvoir revendre les bons à des prix fixés à l’avance, supérieurs aux prix d’acquisition (et donc l’absence de risque de perte) ;
- L’existence d’un lien entre l’émission des bons et la mission du manager ;
- La faiblesse du risque encouru par le manager.
Afin d’éviter la requalification du gain de cession en salaire et attendant une possible évolution législative, il est nécessaire de sécuriser la qualité d’investisseur du manager en prévoyant que le gain de cession n’a aucun lien avec ses fonctions de salarié ou de dirigeant mais résulte bien de son investissement. Cela pourrait être le cas si par exemple ni la démission ni le licenciement ne donne la possibilité au fonds d’investissement de racheter ses actions ou encore avec une cessibilité des titres souscrits identique à celle des investisseurs financiers. Cependant, dans la pratique, ceci est difficilement réalisable et conciliable avec les intérêts du fonds.
Il est également possible de recourir aux outils encadrés fiscalement comme les actions gratuites, les stocks options ou les BSPCE. Toutefois, même dans ces cadres légaux, une attention particulière devra être portée à la rédaction des documents encadrant la détention des actions après leur acquisition. Par ailleurs, si le recours à ces régimes légaux semble à présent être la solution à privilégier, il ne faut pas oublier que leur mise en place est soumise à des conditions d’éligibilité restrictives.