Le 24 avril dernier, le Conseil d’Etat, dans un arrêt sanctionnant l’Autorité des Marchés Financiers est venu clarifier la notion d ‘ » information privilégiée » dans le cas d’un délit d’initié.
Les faits
Par une décision du 18 janvier 2010, la Commission des sanctions de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a condamné deux gérants de Richelieu Finance Gestion (Richelieu Finance), devenu depuis lors KBL Richelieu Finance, pour manquement d’initié.
Il était reproché à ces deux gérants d’avoir utilisé une information privilégiée relative à l’imminence d’une OPA sur la société Complétel préparée par le département corporate finance de la banque HSBC.
Plus précisément, ces deux gérants avaient acquis des actions Complétel les 22, 23 et 29 août 2007 alors que la société Altice.B était amenée à déposer une OPA sur ce titre le 30 août suivant.
La Commission des sanctions avait considéré que, par les contacts que l’un des gérants avait eus avec un représentant de la banque HSBC, celui-ci « …. ne pouvait pas ne pas avoir compris de ces propos (échangés avec le représentant de la banque) qu’une offre publique sur Complétel était en préparation et que leur opération ne consistait pas en un
simple achat de blocs ».
La Commission avait considéré que l’autre gérant avait détenu ces mêmes informations du fait des contacts qu’elle avait eus avec l’autre gérant dont elle était la supérieure hiérarchique.
La Commission des sanctions en concluait que les gérants, ayant acquis des titres aux dates sus-indiquées, avaient utilisé cette information privilégiée, précisant que les acquisitions contestées avaient porté « …. sur des quantités sensiblement supérieures à celles des précédentes interventions sur le titre ».
Il en résultait, pour la Commission des sanctions, une infraction d’utilisation d’informations privilégiées en méconnaissance des dispositions des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF, la Commission avait prononcé à l’encontre des deux gérants un blâme et une sanction pécuniaire de 30.000 euros. En outre, la Commission des sanctions, appliquant sa nouvelle jurisprudence, avait écarté la demande d’anonymisation de la publication de la décision.
Sur conseil de KGA, les gérants avaient décidé d’engager un pourvoi à l’encontre de la décision de la Commission des sanctions et KGA a travaillé sur ce dossier principalement avec Maître Denis Garreau, avocat aux Conseils, mais également avec Maître Blancpain, autre avocat aux Conseils.
Les apports de l’arrêt du Conseil d’Etat
Après deux ans de procédure, le Conseil d’Etat a, par une décision du 24 avril 2012, annulé la décision de la Commission des sanctions du 18 janvier 2010, enjoint l’AMF de supprimer la décision publiée de son site internet et d’y publier la décision du Conseil d’Etat dans les mêmes conditions que celles de la décision annulée.
La décision du Conseil d’Etat est en droite ligne avec la jurisprudence de la Commission des sanctions, qu’elle a le grand mérite de clarifier.
Le Conseil d’Etat considère « …. qu’à défaut de preuve matérielle à l’encontre d’une personne mentionnée aux articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF, la détention d’une information privilégiée peut être établie par un faisceau d’indices concordants, desquels il résulte que seule la détention d’une information privilégiée peut expliquer les opérations litigieuses auxquelles la personne mise en cause a procédé ».
Dès lors, le Conseil d’Etat, analysant les écritures déposées et les pièces jointes, a considéré qu’aucune preuve matérielle de la détention d’informations privilégiées n’était apportée.
Le Conseil d’Etat a relevé, à juste titre, que ces deux gérants avaient procédé à l’acquisition de titres Complétel « selon un rythme régulier depuis le mois de février 2007, de sorte que la société Richelieu Finance détenait 5 % du capital de Complétel en juin 2007 » ; la juridiction du Palais Royal a ainsi retenu que ces gérants avaient défini une stratégie d’achat de titres, avec un objectif de cours d’ailleurs supérieur au montant de l’OPA.
Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré que les achats de titres Complétel litigieux « peuvent s’expliquer autrement que par la détention d’une information privilégiée et que cette détention n’est pas davantage établie par un faisceau d’indices concordants et non équivoques ».
En conséquence, en l’absence de preuve matérielle de délit d’initié, en l’absence d’un faisceau d’indices suffisant, et placé devant l’évidence que les gérants avaient eu, par leurs activités sur le titre, des raisons objectives de procéder aux acquisitions litigieuses, le Conseil d’Etat a considéré qu’aucune sanction ne pouvait être retenue à leur encontre.
Pour l’anecdote : dans un premier temps, la décision a été publiée sur le site de l’AMF en anonymisant les noms. C’est sur deux interventions de KGA auprès du Président de l’AMF qu’il a été mis fin à cette anomalie. Le représentant de l’AMF a indiqué (non sans humour !) à KGA que la publication sous cette forme avait été dictée « pour préserver les gérants de nouveaux bruits sur cette affaire ».