Analyse Juridique | Public des Affaires
L’enjeu de l’achat local
18 octobre 2011

Avec le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011, Bercy apporte d’importantes modifications du code des marchés publics (CMP) et, notamment, celle de son article 53. Parmi les critères d’attribution utiles à la sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse, est introduit celui des « performances en matière de développement des approvisionnements directs des produits de l’agriculture » .
Cette mesure nouvelle est présentée comme un instrument de développement des circuits courts, c’est-à-dire la vente sans intermédiaire. En réalité, elle ajoute un instrument dédié pour « favoriser » l’achat local.

 

Le Code des marchés publics finit par promouvoir l’approvisionnement direct des produits de l’agriculture!

Pour mesurer la portée du nouveau dispositif au-delà de la lettre même du texte, il faut le replacer dans son contexte.

Le secteur de la restauration hors-domicile est animé, depuis plusieurs années, par une pression sociologique forte à l’échelle locale (préoccupations autour d’une alimentation saine et de qualité, de soutien aux filières de productions régionales).

Toutefois, cette révolution culturelle des marchés publics de fournitures alimentaires s’est heurtée à de sérieuses difficultés juridiques : les règles de la commande publique, qu’elles soient communautaire ou nationales, prohibent les restrictions d’accès à la commande publique.

Or, fixer une exigence de provenance géographique au titre des spécifications techniques ou intégrer une telle attente dans les critères d’attribution constituera un avantage pour l’entreprise locale à même de la satisfaire.

Dès lors, l’institution d’une condition ou d’un critère géographique est présumée illégale.

Par exception, de telles exigences sont légales lorsqu’elles peuvent être regardées (i) comme justifiées par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution et (ii) proportionnées.

Les hypothèses concrètes où ces conditions exigeantes peuvent être regardées comme remplies sont tellement improbables que la promotion de l’achat local a dû emprunter des voies détournées.

Par exemple, l’allotissement.

En réalité, l’allotissement, qui conduit à un découpage du marché public et à une réduction des enjeux financiers, intervient surtout comme un instrument de limitation de l’effet anticoncurrentiel et, dès lors, de réduction du risque contentieux. Il ne dispense, en aucun cas, de l’obligation de fixer des exigences qui sont, uniquement et objectivement, justifiées par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution.

Par ailleurs, certaines stratégies de notation établissent une relation entre, d’un côté, la proximité géographique du fournisseur et du lieu de livraison et, de l’autre, le développement durable (l’article 53 du CMP visant déjà comme critère d’attribution ouvert, celui des « performances en matière de protection de l’environnement »). L’instrument devait être manié avec précaution. Le développement durable étant un concept global, la prise en compte de la localisation ne pouvait intervenir qu’en tant que sous-critère ou sous-élément non exclusif et affecté d’une pondération raisonnable et congrue.

Les acteurs du secteur attendaient un instrument plus efficace et direct.

Certains ont cru être entendus. La loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture, qui a introduit un droit de préférence au profit des exploitants agricoles de proximité, a, ainsi, été présentée comme la première étape d’une modification du code des marchés publics.

Il reste que le paysage contentieux ne s’y prêtait plus. A l’occasion de l’attribution d’un marché de fournitures de tickets restaurant, le droit de préférence accordé par le CMP à une catégorie particulière d’opérateurs (les sociétés coopératives ouvrières ou aux artisans, entre autres), a fait l’objet d’une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne. Ceci a remis dans le viseur de la Cour et de la Commission, les particularités du CMP et de sérieuses mises en garde ont été formulées, notamment par Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques de Bercy.

Tenant compte de ces mises en garde, le pouvoir réglementaire a abandonné le principe de l’introduction d’un critère de préférence locale, pourtant soutenu par le ministre de l’agriculture Bruno Le Maire à l’occasion des assises parlementaires de la restauration collective du 12 avril 2011 : de manière moins frontale, l’article 53 du CMP intègre le nouveau critère « (des) performances en matière de développement des approvisionnements directs des produits de l’agriculture ».

La direction des affaires juridiques du ministère de l’économie a expliqué que cette mesure doit permettre de « rapatrier de la valeur ajoutée pour les agriculteurs en diminuant les coûts des intermédiaires et de préserver l’environnement en limitant le déplacement des produits et le recours aux plateformes de répartition ».

Dans une très large mesure, le succès et l’efficacité de ce critère dépendront de l’usage qu’en feront les acheteurs publics.

Enfin, si l’on peut relever la prudence des rédacteurs, celle-ci n’exclut toutefois pas définitivement un contentieux sur sa légalité ou sa conventionalité.

Il s’agit de la variante.

Ce mécanisme, régi par l’article 50 du CMP, se définit comme une modification autorisée, à l’initiative d’un candidat, de certaines spécifications des prestations décrites dans le dossier de consultation.

Auparavant, le candidat devait, à la fois, proposer une offre de base répondant strictement au dossier de consultation ainsi que son offre variante. En raison de cette condition, la variante présentait peu d’intérêt.

Désormais, l’article 16 du décret n° 2011-1000 supprime cette exigence et certaines stratégies d’achat laissées dans les cartons pourront être utilement testées à nouveau, telles que :

– définir des lots retenant un produit d’origine géographique identifiée (selon une IGP ou une AOC, par exemple) tout en autorisant au titre de la variante d’autres produits d’origines différentes, sous réserve de satisfaire à des exigences minimales de qualités prédéterminées ;

– imposer une exigence biologique, avec la possibilité, en variante autorisée, de proposer, en substitution du label biologique, des produits régionaux répondant à des exigences minimales de qualité, de santé publique, de développement durable et de circuit de proximité caractérisant une démarche éco-responsable équivalente.

Le chemin de la bonne table passe, de plus en plus, par les arcanes de la commande publique !

Rédigé par

Eve Derouesné ASSOCIÉE

Autres articles récents

Share This