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Ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics – Fiche technique n° 1 : Le principe de l’allotissement des marchés publics
16 octobre 2015

Conformément aux directives marchés du 26 février 2014 (1) dont elle opère la transposition, l’ordonnance du 23 juillet 2015 (2) pose dans son article 32, un principe général d’allotissement des marchés publics.

L’objectif poursuivi et éprouvé (3) , est de favoriser l’accès des PME aux contrats de la commande publique et d’intensifier la concurrence. Pour l’acheteur, il présente également l’avantage de diviser le risque d’inexécution en autant de lots que le marché comporte.

Si l’affirmation de l’allotissement sous la forme d’un principe est inédite à l’échelle communautaire, sa réception par l’ordonnance du 23 juillet 2015 ne s’analyse pas en un bouleversement pour le droit interne français. Néanmoins, cette transposition a été l’occasion de réaffirmer le principe tout en précisant les modalités de son application et en permettant d’identifier clairement les dérogations dont elle peut faire l’objet.

(1) Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et directive 2014/25/UE du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.
(2) Ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative au marché public. JORF n°0169 du 24 juillet 2015, p. 12602.
(3) Fiche d’impact du projet d’ordonnance relative aux marchés publics, p. 19.

Qu’est ce qui change ?

L’innovation procède tout d’abord du champ d’application organique de l’ordonnance qui a pour effet de rendre applicable le principe de l’allotissement aux pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices aujourd’hui soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005, de sorte que les EPIC locaux et nationaux ou encore les offices publics de l’habitat, seront désormais concernés par le principe.

Ensuite, s’agissant des modalités de l’allotissement, le texte supprime la faculté du pouvoir adjudicateur de choisir « librement le nombre de lots » (4), en indiquant que « les acheteurs déterminent le nombre, la taille et l’objet des lots ». Les acheteurs sont ainsi incités à accorder une attention plus précise à la prise en compte des considérations techniques, à la structure du marché et aux règles applicables à certaines professions, dans la détermination des lots (5).

Le texte ouvre également la possibilité aux acheteurs de « limiter le nombre de lots pour lesquels un opérateur économique peut présenter une offre, ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique », avalisant ainsi la jurisprudence administrative (6) , tout en autorisant les opérateurs économiques « à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus». D’essence pragmatique, notamment en considération des économies d’échelle qu’elle permet, cette dernière possibilité offre une alternative aux acheteurs qui étaient tentés de recourir à un marché global, en application de la dérogation relative à l’hypothèse où « l’allotissement risque de rendre financièrement plus coûteuse la réalisation des prestations » . (7)

D’un point de vue formel, la présentation d’offres variables est subordonnée à l’obtention de l’accord de l’acheteur.

Les candidats devront être vigilants. Dans le silence des documents de la consultation, ils devront considérer que le dépôt d’une offre variable est interdit.

Il conviendra par ailleurs d’être particulièrement attentif à la présentation des offres variables. Les candidats auront intérêt à solliciter, si les documents de consultation ne sont pas clairs, des précisions afin d’éviter l’écueil de l’offre incomplète.

En ce qui concerne la consistance de ces offres et surtout sa notation, la lettre de l’article 32 prête à interprétation. Sous réserve des précisions qui seront éventuellement apportées par les décrets d’application à venir, il nous semble, d’une part, que le caractère variable de l’offre n’a pas un champ restreint (prix décroissants ou prestations supplémentaires sont envisageables).

D’autre part, lorsqu’une offre variable sera déposée, se pose la question de l’adoption d’une méthode d’attribution qui permette une comparaison effective des offres et ne conduise pas à une éviction irrégulière des offres déposées pour un seul lot. La règle d’attribution devra être objective, claire et non discriminatoire et l’on pressent que cela va être complexe (8) .

Enfin, d’un point de vue formel, l’article 32 de l’ordonnance fait peser sur les acheteurs une obligation de motiver leur choix de ne pas allotir (9) . Cette obligation revêt sans nul doute une vocation dissuasive pour les acheteurs contraints de formaliser leur choix d’écarter le principe de l’allotissement. La rédaction de cette motivation devra faire l’objet d’une attention particulière dans la mesure où elle polarisera certainement l’attention des candidats et du juge en cas de contestation du recours à un marché global.

(4) Article 10 du code des marchés publics.
(5) Voir pour une analyse de l’appréciation par le juge des modalités de détermination des lots : E. Derouesné et A. Stefanini-Coste, « Le juge au service de l’effet utile du Code des marchés publics : son office en matière d’allotissement et de sous-critère »,Contrats et Marchés publics n° 4, Avril 2009, étude 4
(6) Conseil d’Etat, 20 février 2013, SELAS Laboratoire Biomnis, req. n° 363656.
(7) Article 32 de l’ordonnance ; voir infra.
(8) Voir F. Linditch, « Allotissement et marchés globaux », Contrats et Marchés publics n° 10, Octobre 2015, dossier spécial, p 32/33.
(9) Cette obligation de justification figure uniquement dans la Directive 2014/24/UE (article 46§ 1 alinéa 2). Elle n’est pas prévue par la directive 2014/25/UE laquelle concerne les marchés passés par les entités opérant dans les secteurs de réseaux.

Récapitulatif des six exceptions à l’obligation d’allotir

Dans un premier temps, l’article 32 délimite son champ d’application, en énonçant les contrats qui sont soustraits à l’obligation d’allotir.

Il fait tout d’abord la réserve des marchés publics globaux décrits dans les dispositions qui figurent immédiatement après l’article 32 de l’ordonnance. Il s’agit des marchés de conception-réalisation, des marchés publics globaux de performance et de certains marchés publics globaux sectoriels. Si ces dérogations ne sont pas nouvelles, l’ordonnance leur donne néanmoins une assise textuelle dont ils étaient jusqu’à lors dépourvus (10) .

Peuvent ensuite déroger au principe de l’allotissement, les marchés publics de défense et de sécurité. Cette dérogation est aujourd’hui prévue à l’article 189 du code des marchés publics, lequel indique que le pouvoir adjudicateur concerné, « choisit librement » entre la passation d’un marché global ou d’un marché alloti, « en fonction notamment des avantages économiques, techniques ou financiers » que ces deux modalités procurent.

Enfin, l’article 32 reprend à l’identique la dérogation relative à l’impossibilité d’identifier des prestations distinctes au sein du marché, telle qu’elle figure dans le code des marchés publics.

Dans un second temps, pour les marchés qui ne sont concernés par aucune de ces trois dérogations et qui sont par conséquent soumis à l’obligation d’allotir, l’article 32 définit quatre hypothèses dans lesquelles les acheteurs peuvent toutefois passer un marché global. Ces situations sont les suivantes :

 *l’acheteur n’est pas en mesure d’assurer lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ;
 *l’allotissement est de nature à restreindre la concurrence ;
 *l’allotissement risque de rendre techniquement difficile la réalisation des prestations ;
 *l’allotissement risque de rendre financièrement plus coûteuse la réalisation des prestations.

Les acheteurs ne devront pas perdre de vue qu’elles font l’objet d’une interprétation restrictive par les juridictions administrative. Ils devront donc s’assurer que le marché qu’ils souhaitent passer rempli strictement les conditions requises par les textes et par la jurisprudence, pour revêtir la forme d’un contrat global.

En définitive, à notre sens, les questions concrètes soulevées par ce futur dispositif devraient se concentrer sur la possibilité de présentation d’offres variables et leur notation.

Pour mémoire, l’ordonnance entrera en vigueur à une date fixée par voie réglementaire et au plus tard le 1er avril 2016.

(10) L’actuel code des marchés publics prévoient l’existence des marchés de conception réalisation en son article 37 et des marchés de conception, réalisation et exploitation ou maintenance à l’article 73, à propos desquels la circulaire du 14 février 2012 relative au guide des bonnes pratiques en matière des marchés publics prévoyait qu’ils constituaient des dérogations à l’obligation d’allotissement. Aucun texte normatif ne confirmait néanmoins l’existence de ces dérogations.

Rédigé par

Eve Derouesné ASSOCIÉE

Virginie Lafargue Counsel

virginie.lafargue@kleinwenner.eu
+33 (0)1 44 95 20 00

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