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Régulation : que reste t-il du caractère sacré de la volonté des parties ?
15 avril 2014

L’arrêt rendu le 25 mars 2014 par la chambre commerciale de la Cour de cassation consacre de manière remarquable l’office du régulateur en confirmant son pouvoir d’imposer l’application immédiate de ses décisions d’analyse de marché y compris aux contrats en cours d’exécution, alors même qu’aucune disposition législative ne prévoirait explicitement cette rétroactivité au sens large.

Cass.com, 25 mars 2014 – n°12-28426

L’arrêt a pour contexte le déploiement de la télévision numérique terrestre (TNT). Etait en cause, en l’espèce, l’application d’une décision de marché prise par l’ARCEP aux contrats en cours, conclus antérieurement par la société TDF avec des diffuseurs techniques d’images, de sons et de données (liés en amont à des opérateurs de multiplexe regroupant plusieurs éditeurs de chaînes de diffusion télévisuelle) pour l’utilisation des infrastructures de diffusion créées par TDF sous l’empire de son ancien monopole et difficilement réplicables à court terme. TDF, opérateur puissant sur le marché de gros d’accès aux infrastructures est, également, en situation de concurrence avec les diffuseurs techniques pour répondre aux appels d’offres des multiplexes.

Les contrats d’accès conclus par TDF avec les opérateurs alternatifs sont des contrats d’une durée de cinq ans. Les décisions de marché de l’ARCEP se succèdent à un rythme triennal. La décision dite « cycle 2 », n° 2009-0484 du 11 juin 2009, imposait à TDF des obligations tarifaires plus lourdes pour certains de ses sites, que celles auxquelles il était soumis sous l’empire de la décision « cycle 1 ». Les opérateurs alternatifs, déjà contractuellement liés à TDF, pouvaient-ils, sur le fondement de la décision cycle 2, bénéficier de tarifs sensiblement réduits par rapport aux tarifs prévus par leurs contrats ? Ou devaient-ils attendre l’échéance contractuelle pour renégocier ces tarifs, au risque d’être moins compétitifs à l’égard des opérateurs de multiplexe que TDF ou d’autres opérateurs bénéficiant des tarifs « cycle 2 » ?

Saisie en règlement de différend par un opérateur alternatif, l’ARCEP avait imposé l’application des obligations tarifaires « cycle 2 » aux contrats en cours litigieux. La Cour d’appel de Paris avait annulé cette décision.

L’analyse de la Cour de cassation est en sens inverse : faisant prévaloir l’ordre public économique issu du dispositif de régulation sur l’article 1134 du code civil, l’arrêt est cassé au visa de l’article L. 38-I, 4° du code des postes et des communications électroniques qui permet à l’ARCEP d’imposer aux « opérateurs réputés exercer une influence significative sur le marché » une obligation d’orientation de leurs tarifs vers les coûts. Les motifs retenus par la Cour d’appel de Paris (relevant que la décision « cycle 2 » ne prévoyait ni explicitement, ni implicitement, son application aux contrats en cours) sont, selon la Cour de cassation, « impropres à exclure que les dispositions relatives aux tarifs de la décision Cycle 2, prises par l’ARCEP dans l’exercice du pouvoir de régulation qu’elle tient du texte susvisé, fussent implicitement mais nécessairement applicables aux contrats en cours ». En d’autres termes, le fait que la décision « cycle 2 » ne prévoit pas son application aux contrats en cours ne saurait justifier qu’elle ne leur soit pas applicable, compte tenu du pouvoir de régulation de l’ARCEP.

Quand on sait que les juges constitutionnel, judiciaire et administratif s’accordent pour n’admettre l’application immédiate de la norme nouvelle aux contrats en cours que si elle se justifie par un motif d’ordre public impérieux, notamment dans un contexte de fort interventionnisme économique, l’arrêt prend un relief particulier en consacrant le régulateur comme garant des grands équilibres du marché, doté à cet effet d’un pouvoir effectif d’intervention immédiate au cœur même du contrat.

Si l’on s’attarde sur les seize années de jurisprudence en matière de régulation sectorielle depuis le premier arrêt de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 28 avril 1998, SA France Télécom/Société Paris TV Câble, AJDA 1998, p. 835) reconnaissant à l’ARCEP le pouvoir de prononcer des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l’exécution de contrats conclus entre les opérateurs et « de restreindre ainsi, pour des motifs d’ordre public économique, le principe de la liberté contractuelle dont ils bénéficient » (CA Paris, 12 septembre 2006, TDF c/ Antalis-TV, RG n° 2006/07121), la solution retenue par la Cour de cassation s’inscrit fort logiquement dans la continuité de cette jurisprudence marquée par un repli du caractère quasi-sacré de la volonté des parties.

Laisser à TDF, opérateur puissant, la possibilité de maintenir des tarifs non orientés vers les coûts et de ne pas appliquer la décision « cycle 2 » au seul motif de liens contractuels préexistants à la décision de régulation aurait eu pour effet de mettre en péril l’équilibre concurrentiel que le régulateur a la charge de préserver.

Nul doute que cette décision dépassera largement la frontière des communications électroniques pour toucher l’ensemble de la régulation sectorielle dont l’effectivité suppose qu’elle ne soit pas laissée entre les mains des opérateurs puissants. La régulation, nouvelle forme d’interventionnisme économique, justifie certaines entorses à la liberté contractuelle et à la toute-puissance de la loi des parties.

Rédigé par

Virginie Delannoy Counsel

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