Analyse Juridique | Immatériel & Numérique
Validité d’un contrat sous forme de courriers électroniques
26 septembre 2018

Par un arrêt du 11 juillet 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation (la « première chambre civile ») précise qu’un échange de courriers électroniques peut constituer l’écrit exigé à titre de validité d’un contrat.

En l’espèce, une société titulaire d’une licence d’agent sportif (le « mandataire « ) avait assigné un club allemand de football en paiement d’une somme.

Cette somme représentait le montant d’une commission que l’agent sportif estimait lui être dû en vertu d’un mandat reçu aux fins de négocier le transfert d’un joueur (le « mandat ») résultant d’un échange de courriers électroniques.

La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 10 novembre 2016, a débouté le mandataire de toutes ses demandes au motif que les courriels versés aux débats ne respectaient pas les conditions de validité de l’écrit imposées par le code du sport à peine de nullité.

La première chambre civile censure à un double titre le raisonnement de la Cour d’appel en qualifiant d’une part, l’échange de courriels de contrat (I) et en reconnaissant, d’autre part, la validité du message électronique qui peut par nature constituer un écrit (II).

1. La validité d’un échange de courriels en matière de mandat sportif

La première chambre civile censure d’abord la Cour d’appel qui estimait que les courriers échangés par les parties ne pouvaient pas être qualifiés de mandat sportif puisqu’ils ne regroupaient pas dans un seul document les mentions obligatoires prévues à l’article L.222-17 du code du sport . (1)

Pour rappel, cet article conditionne la validité du mandat sportif à l’existence d’un écrit précisant (i) le montant de la rémunération de l’agent sportif et (ii) le nom de la personne physique détentrice de la licence d’agent sportif.

La première chambre civile rappelle au visa de l’article L.222-17 du code du sport qu’ « il résulte de ce texte que le contrat en exécution duquel l’agent sportif exerce l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un des contrats mentionnés à l’article L.222-7 du même code est écrit et que toute convention contraire est réputée nulle et non écrite ».

Elle précise ensuite que l’article n’impose pas que le contrat dont il fixe la forme juridique soit établi sous la forme d’un écrit unique et que la Cour d’appel en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé l’article L.122.17.

La première chambre civile confirme ainsi la validité d’un contrat solennel résultant d’une pluralité d’écrits.

Cette solution, avait été retenue par la troisième chambre civile, qui, dans un arrêt du 7 avril 2010, avait estimé que la rencontre de l’offre et de l’acceptation pouvait résulter d’un échange de courriels.

(1) Article L.222-17 du code du sport : « Un agent sportif ne peut agir que pour le compte d’une des parties aux contrats mentionnés à l’article L. 222-7.
Le contrat écrit en exécution duquel l’agent sportif exerce l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un des contrats mentionnés à l’article L. 222-7 précise :
1° Le montant de la rémunération de l’agent sportif, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu’il a mises en rapport ;
2° La partie à l’un des contrats mentionnés à l’article L. 222-7 qui rémunère l’agent sportif.
Lorsque, pour la conclusion d’un contrat mentionné à l’article L. 222-7, plusieurs agents sportifs interviennent, le montant total de leurs rémunérations ne peut excéder 10 % du montant de ce contrat.
Par dérogation au 1° et au cinquième alinéa, les fédérations délégataires peuvent fixer, pour la rémunération du ou des agents sportifs, un montant inférieur à 10 % du contrat conclu par les parties mises en rapport.
Le montant de la rémunération de l’agent sportif peut, par accord entre celui-ci et les parties aux contrats mentionnés à l’article L. 222-7, être pour tout ou partie acquitté par le cocontractant du sportif ou de l’entraîneur. L’agent sportif donne quittance du paiement au cocontractant du sportif ou de l’entraîneur. Toute convention contraire au présent article est réputée nulle et non écrite. »

2. La validité d’un acte juridique sous forme d’écrit électronique

La première chambre civile censure ensuite la Cour d’appel qui avait retenu qu’ « un message électronique ne peut par nature constituer l’écrit concentrant les engagements respectifs des parties ».

Elle rappelle, sur le fondement de l’article 1108-2 du code civil (devenu 1174 du code civil depuis la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016), que lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions de l’article 1316-1 et 1316-4 du code civil (devenus les articles 1366 et 1367).

L’écrit électronique doit ainsi respecter les conditions cumulatives suivantes :

I. Permettre l’identification de la personne dont il émane ;
II. Etre établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ;
III. Avoir une signature qui consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.

Les faits rappellent deux arrêts de la Cour d’appel de Caen du 5 mars 2015 qui avaient consacré le mandat électronique, dont la validité avait toutefois été suspendue en raison de la signature de ce dernier. (2)

Or, en l’espèce, les emails échangés permettaient de remplir les deux premières conditions, mais pas la troisième, ces derniers étant dépourvus de signature électronique telle que définie au sens de l’article 1316-4.

Il semble donc que l’apposition d’une signature électronique ne soit pas toujours nécessaire pour que l’email remplisse les exigences de l’écrit.

Cet arrêt œuvre donc en faveur du principe d’équivalence probatoire selon lequel un écrit électronique aurait la même force qu’un écrit sur support papier, conformément à la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, et b[ce, y compris lorsqu’il est question de la validité d’un contrat. (3)

(2) CA Caen, 5 mars 2018, n°13/03009 et 13/03010
(3) Voir en ce sens F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 11è éd., Dalloz, 2013, n° 145

Rédigé par

Laurent Badiane ASSOCIÉ

Lisa Bataille AVOCAT

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