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Droit d’auteur : Autorisation obligatoire pour la publication d’une photographie en ligne sur un autre site
13 septembre 2018

Par un arrêt en date du 7 août 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne (la « CJUE ») est venue préciser la notion de « communication d’une œuvre au public » sur Internet.

Selon la CJUE, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, § 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (la « Directive DADVSI »), « doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre la mise en ligne sur un site internet d’une photographie préalablement publiée, sans mesure de restriction empêchant son téléchargement et avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, sur un autre site internet ».

En d’autres termes, la représentation sur un site internet d’une photographie librement accessible sur un autre site internet constitue une un acte de communication à un public nouveau imposant le consentement de son auteur.

L’arrêt de la CJUE précise dans une certaine mesure la notion de « communication au public » dans son application sur internet (I). Toutefois, la portée de cette décision pourrait être nuancée au regard du contexte dans lequel il s’inscrit avec l’exception de l’utilisation à des fins d’enseignement (II).

1. Clarification et précision de la notion de « communication au public » dans son application sur internet

Les faits :

Un photographe avait autorisé un site internet consacré aux voyages à publier une de ses photographies. Une lycéenne allemande avait téléchargé sur ce site cette photographie librement accessible pour illustrer un exposé. L’exposé avait été ensuite mis en ligne sur le site internet de son établissement scolaire.

La Procédure :

Le photographe a saisi la justice allemande aux fins d’obtenir l’interdiction de la publication de sa photo sur le site de l’école ainsi que des dommages et intérêts pour atteinte à son droit d’auteur, estimant qu’il n’avait pas autorisé l’école à utiliser sa photographie.

La question préjudicielle posée :

Saisie par la Cour fédérale de justice allemande, la CJUE a été amenée à répondre à la question préjudicielle suivante : « L’insertion, sur un site Internet accessible au public, d’une œuvre librement disponible pour l’ensemble des internautes sur un autre site Internet avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur constitue-t-elle une mise à la disposition du public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/291, lorsque l’œuvre a d’abord été copiée sur un serveur puis, de là, téléchargée sur le site Internet? »

La CJUE a répondu par l’affirmative et, pour ce faire, elle a :

(i) rappelé l’objectif principal de la Directive DADVSI : instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public et qu’en ce sens, la notion de «communication au public » doit être entendue au sens large (CJUE, 14 juin 2017 Stichting Brein,C – 610/15) ;

(ii) rappelé que la notion de « communication au public » associe deux éléments cumulatifs, à savoir un acte de communication d’une œuvre d’une part, et la communication de cette dernière à un public d’autre part ;

S’agissant de l’exigence de communication à un public, la CJUE a estimé qu’en l’espèce l’acte de communication vise l’ensemble des utilisateurs potentiels du site Internet sur lequel cette mise en ligne est effectuée, soit un nombre indéterminé et assez important de destinataires, et doit, dans ces conditions, être considéré comme une communication à un « public », au sens de la jurisprudence précitée ;

(iii) considéré enfin que les utilisateurs du site de l’établissement constituent un « public nouveau », c’est-à-dire « un public n’ayant pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit d’auteur, lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public ».

La CJUE assure que « la nature préventive des droits du titulaire est préservée, dès lors qu’il est loisible à l’auteur, dans l’hypothèse où il ne souhaite plus communiquer son œuvre sur le site Internet concerné, de retirer celle-ci du site Internet sur lequel elle a initialement été communiquée, rendant caduc tout hyperlien renvoyant vers celle-ci ». Elle poursuit en indiquant qu’« en revanche, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise en ligne sur un autre site Internet d’une œuvre engendre une nouvelle communication, indépendante de la communication initialement autorisée » et qu’conclut qu’ « en conséquence de cette mise en ligne, une telle œuvre serait susceptible de demeurer disponible sur ce dernier site, indépendamment du consentement préalable de l’auteur et en dépit de toute action par laquelle le titulaire de droits déciderait de ne plus communiquer son œuvre sur le site Internet sur lequel celle-ci a été initialement communiquée avec son autorisation. »

La situation aurait été vraisemblablement différente si la photographie litigieuse avait été publiée avec un lien hypertexte renvoyant au site de voyage.

Ainsi, par cet arrêt, la CJUE a non seulement marqué une nouvelle fois sa volonté d’assurer la protection du droit d’auteur en l’adaptant aux contraintes liées à Internet, sans pour autant restreindre la diffusion des informations en permettant notamment la pratique des liens hypertextes. Pour autant, une telle position sur la notion de « communication au public » n’empêche en rien la mise en jeu des exceptions au droit d’auteur.

2. L’exception de l’utilisation à des fins d’enseignement

Aux termes de l’article 5 3°) a) de la Directive DADVSI les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit d’auteur lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi.

La CJUE l’a d’ailleurs rappelé à titre liminaire dans sa décision puisqu’elle a précisé que c’est « sous réserve des exceptions et limitations prévues de façon exhaustive par la directive » que « toute utilisation d’une œuvre effectuée par un tiers, sans consentement préalable de l’auteur, doit être regardée comme portant atteinte aux droits de l’auteur de cette œuvre ».

Or, pour appliquer l’exception prévue à l’article 5, il est nécessaire de répondre à plusieurs conditions :

i) la finalité d’enseignement
ii) l’indication de la source et du nom de l’auteur
iii) le but non commercial

A la lecture des faits de l’espèce, il apparaît raisonnable de considérer qu’il s’agit d’une utilisation à des fins d’enseignement ne poursuivant pas de but lucratif. Néanmoins, la difficulté tient davantage au fait que le nom de l’auteur ne figurait pas dans l’exposé. Cela étant, il doit être souligné que l’enseignante et l’élève avaient pris le soin d’indiquer le nom du site internet duquel était tirée la photographie.

L’article 5 5°) de la Directive DADVSI prévoit en outre que les exceptions et limitations prévues aux paragraphes ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

En conséquence et comme l’explique l’Avocat général, « bien que sa jurisprudence requière l’interprétation stricte de la portée des exceptions et des limitations, dans la mesure où elles pourraient affecter le droit de propriété sur les créations intellectuelles, il convient de ne pas oublier que le droit à l’éducation est également consacré à l’article 14, paragraphe 1, de la Charte ».

Finalement, un tel raisonnement invite à recourir à la mise en balance des intérêts dont le juge national a, d’ailleurs, déjà fait application en matière d’exceptions au droit d’auteur (Cass. civ. 1ère, 15 mai 2015, pourvoi n°13-27.391).

Rédigé par

Laurent Badiane ASSOCIÉ

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