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Réforme sur les marchés publics – fiche technique n° 3 : L’encadrement du sourcing dans les marchés publics
8 avril 2016

Pour la première fois, le sourcing fait son entrée dans les textes de la commande publique.

La pratique actuelle des acheteurs tend à recourir de manière croissante à des techniques de sourcing, lesquelles prennent la forme de sollicitations de fournisseurs, de participations à des salons, ou encore de consultations de bases dédiées telles que celle de la plate-forme de dématérialisation des procédures de l’Etat dite « Place », qui répertorie plus de 80.000 sociétés. Ces techniques se sont par ailleurs considérablement diversifiées, allant de la formelle request for information publiée sur le site du ministère de la défense ou de la Banque de France aux fins d’obtenir des éléments de réponse sur des problématiques liées à la faisabilité techniques d’un projet, au lancement d’un appel à idées organisé à la fin de l’année 2015 par la ville de Paris en vue de définir l’affectation de certains sites de son domaine en amont de l’appel d’offre lancé pour l’attribution des concessions portant sur ces sites. Les opérateurs étaient alors invités à soumettre au service concession de la ville leurs suggestions quant à l’exploitation pouvant y être envisagée.

Les bénéfices escomptés par les acheteurs sont : acquisition d’une connaissance précise du marché, de ses opérateurs, des solutions qu’ils proposent, notamment en termes d’innovations technologiques.

Or, jusqu’à présent, cette démarche n’était pas encadrée – et donc sécurisée – par le droit de la commande publique. Leur régularité et leur impact sur les procédures de passation faisaient débats.

Cette insécurité semblait devoir perdurer compte tenu, d’une part, du silence de l’ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics (1) s’agissant de ces pratiques et, d’autre part, des dispositions de l’article 48 du même texte selon lequel : « I. – Les acheteurs peuvent exclure de la procédure de passation du marché public : (…) 3° Les personnes qui, par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché public, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens ; (…) ».

Tel ne sera finalement pas le cas puisque les articles 4 et 5 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 sur les marchés publics (2) délivrent un brevet de légitimité conditionnelle à la pratique tout en l’ajustant au droit de la commande publique.

(1) Ordonnance n° 2015-689 du 23 juillet 2015 sur les marchés publics, JORF n°0169 du 24 juillet 2015 page 12602 texte n° 28
(2) JORF n°0074 du 27 mars 2016 texte n° 28
Ces articles transposent les articles 40 et 41 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et les articles 58 et 59 de la directive 2014/25/UE du 26 février 2014 relative aux secteurs de réseaux.

1. Régime des opérations de sourcing

Tout d’abord, en ce qui concerne les opérations de sourcing auxquelles les acheteurs sont susceptibles de recourir, l’article 4 alinéa 1er du décret indique que : « Afin de préparer la passation d’un marché public, l’acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences. ».

Ensuite, s’agissant de l’utilisation par les acheteurs des résultats qu’ils tirent de la mise en œuvre d’opérations de sourcing, celle-ci est interdite par l’article 4 alinéa 2 du décret si (i) elle a « pour effet de fausser la concurrence », hypothèse qui renvoie au premier chef à la violation du secret des affaires, ou si (ii) elle entraîne « une violation des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».

Enfin, l’article 5 du décret impose à l’acheteur de prévoir des mesures de nature à contenir le risque d’un avantage concurrentiel de l’opérateur « qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires ».
• En ce qui concerne le champ d’application de l’article 5 du décret, il est à noter qu’il ne correspond pas strictement à celui de l’article 4 du décret. L’article 4, spécifique aux opérations de sourcing, traite strictement de la mise en œuvre et du régime d’une telle démarche. En revanche, l’opération de sourcing pilotée par l’acheteur n’est concernée par les prescriptions de l’article 5 du décret que dans la mesure où elle s’est traduite par la communication d’informations qui aurait pour effet de rompre l’égalité de traitement entre candidats lors de la procédure de passation.
Réciproquement, les mesures édictées par l’article 5 du décret n’ont pas vocation à régir le seul cas de la mise en œuvre d’une démarche de sourcing par l’acheteur. Cette disposition vise l’ensemble des situations dans lesquelles l’opérateur s’est trouvé en position de participer directement ou indirectement à la procédure de passation, de sorte qu’elle peut tout aussi bien concerner, par exemple, le cas dans lequel l’opérateur a exécuté un marché d’étude réalisé en vue de la passation du marché auquel il est également candidat.

• En ce qui concerne le formalisme que l’acheteur est tenu d’observer lorsqu’il édicte des mesures destinées à rétablir l’égalité entre les candidats à la procédure de passation, l’article 105, II, 5° du décret, relatif au rapport de présentation qui doit accompagner la procédure de passation d’un marché dont la valeur dépasse les seuils européens, prévoit que ce rapport doit contenir « la description des mesures appropriées prises par le pouvoir adjudicateur pour s’assurer que la concurrence n’a pas été faussée par des études et échanges préalables avec des opérateurs économiques ». Une fois déterminées, ces mesures de compensation devront donc être consignées dans le rapport de présentation par l’acheteur, lequel devra veiller à justifier chacune d’elles afin d’écarter les suspicions de distorsion de concurrence qui pourraient motiver l’introduction d’un recours.

2. Focus sur deux problématiques induites par la mise en œuvre d’une opération de sourcing

– Protection du secret des affaires

L’acheteur doit garder à l’esprit que la participation d’un opérateur à une opération de sourcing n’a pas pour effet de l’affranchir du respect du secret des affaires. En particulier, la définition et la formulation de son besoin au travers des documents du marché qu’il élabore ne doivent pas témoigner d’une violation du secret des procédés, du secret des informations économiques et financières ou du secret des stratégies commerciales d’un opérateur, lesquelles bénéficient d’une protection absolue (3).

A cet égard, bien que l’ordonnance du 23 juillet 2015 ne contienne pas de dispositions dédiées au sourcing, l’article 44 de ce texte, relatif à la protection du secret industriel et commercial, prévoit néanmoins que les opérateurs économiques peuvent « consentir à ce que certaines informations confidentielles qu’ils ont fournies, précisément désignées, puissent être divulguées ». En conséquence, il est interdit aux acheteurs d’utiliser des données industrielles et commerciales d’opérateurs sourcés couvertes par le secret, sauf à ce qu’ils aient obtenus une autorisation des opérateurs concernés à cette fin.

– Egalité de traitement des candidats

En ce qui concerne les informations communiquées par l’acheteur à un opérateur lors de l’opération de sourcing: le respect du principe de l’égalité de traitement des candidats impose à l’acheteur d’en assurer la diffusion à l’ensemble des candidats à la procédure.

Néanmoins, lorsque les informations communiquées à l’opérateur lui confèrent un avantage concurrentiel insusceptible d’être compensé, eu égard à la précision des informations en cause, à leur nature ou au degré de proximité entre opérateur et acheteur dont elles témoignent, l’article 5 du décret autorise l’acheteur à exclure l’opérateur concerné de la procédure de passation. A cette fin l’article 5 renvoie aux dispositions du 3° de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 précité, lequel constitue la transposition dans les textes de la commande publique d’une solution prétorienne, établie par le Conseil d’Etat (4) , de sorte qu’il est probable que c’est avec la même sévérité que le Conseil d’Etat appréciera, à l’avenir, le recours à une telle solution. Au titre de la procédure à observer, préalablement à l’exclusion du candidat, le II de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 impose à l’acheteur de mettre l’opérateur en mesure d’établir, « dans un délai raisonnable et par tout moyen, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être remis en cause et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché public n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement. ».

En ce qui concerne les résultats obtenus par l’acheteur à l’issue d’une procédure de sourcing : celles-ci doivent être diffusées, de manière identique, à l’ensemble des candidats à la procédure de passation, en particulier lorsque le sourcing a amené l’acheteur à identifier un procédé technique ou une solution précise comme seule réponse à son besoin. Cette diffusion s’effectue néanmoins sous réserve de la préservation du secret des affaires de l’opérateur sourcé, de sorte qu’il est déterminant que celui-ci ait pris les précautions nécessaires aux fins d’identifier les informations qu’il souhaite conserver sous le sceau de la confidentialité.

(3) Voir notamment CADA avis n° 20062458 du 15 juin 2006.
(4) Conseil d’Etat, 29 juillet 1998, Société Génicorp, req. n° 177952

Préconisations à destination des opérateurs sourcés

Eu égard à l’importance du risque de divulgation du secret des affaires dont la démarche de sourcing est porteuse, les opérateurs sourcés devront veiller à adopter une attitude préventive, laquelle pourra se traduire par les diligences suivantes.

– Prendre des précautions rédactionnelles lors de l’élaboration des documents destinés à un acheteur. En particulier, il est préconisé de veiller à ce que ces documents ne permettent pas d’identifier un procédé technique précis ou une donnée industrielle et commerciale déterminée relevant du secret des affaires, en adoptant des formulations générales qui garantissent l’anonymisation de ces éléments. Plus le degré de généralité avec laquelle l’idée est formulée est élevé, plus la donnée en cause est protégée. Il revient en conséquence à l’opérateur sourcé de fixer le niveau de confidentialité qu’il souhaite préserver en arbitrant entre la nature de l’information en cause et sa volonté de la porter à la connaissance de l’acheteur, dans une logique de stratégie commerciale.

– Insérer une clause de confidentialité dans les documents élaborés lors de l’opération de sourcing, laquelle indiquerait que les travaux exécutés contiennent des informations précisément périmétrées, couvertes par le secret, dont l’opérateur refuse la réutilisation libre ou la diffusion publique, tout en se réservant la possibilité de donner une telle autorisation s’il était saisi d’une demande précise en ce sens. Afin de s’assurer de la protection de ces données, l’opérateur peut définir en commun avec l’acheteur des mesures de nature à garantir leur confidentialité, lesquelles figurerait également dans la clause.

Rédigé par

Eve Derouesné ASSOCIÉE

Virginie Lafargue Counsel

virginie.lafargue@kleinwenner.eu
+33 (0)1 44 95 20 00

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